Tout est affaire de rencontres. Pour vous parler de cette chose qui me fait me lever chaque matin, et aller me confronter à la chose
peinte, il me faut commencer par évoquer mes rencontres. Je crois que je n'ai jamais été fait pour ce que je pratique avec frénésie, et je me
demande souvent encore si je suis peintre. Je ne dis pas cela comme un effet de manche, mais je n'ai aucun code particulier de ceux qu'on
appelle un peintre. Je ne m’intéresse que très peu à la technique, encore moins à la nouveauté et pourtant... tout n'est
qu'affaire de rencontres !!!
J'ai passé plus de quarante ans à peindre pour tenter de comprendre l'histoire, en un mot de me comprendre et de m'accepter.
Car la peinture sérielle où la série est bien entendue une réflexion sur l'intime, sur son intime, c'est l'idée de raconter son histoire sans
y mettre de mots. Puis en vieillissant, la nécessite de mette des mots sur mon intime s'est fait ressentir, et en suivant le même
chemin que la peinture, je me suis mis à écrire. Et lorsque je regarde dans le rétroviseur pour voir devant, force est de constater
que les rencontres m'ont permis de construire cet imaginaire. Et à ce petit jeu, je trouve que j'ai été bien gâté.
C'est d'abord Mme Mélet, professeur de peinture aux B.A. de Paris qui a ouvert le bal. Mais au lieu de m'apprendre la technique
picturale, elle m'a appris l'atelier. Et depuis cette période j'ai toujours eu le goût de l'atelier, de la préparation, de l'organisation,
du rangement quasi maniaque, à tel point que j'habite et je peins dans un lieu qui s'appelle « le Magasin » sorte de havre où l'habiter
se confond avec la peinture. Comme s'il ne pouvait en être autrement ! Travailler la série nécessite d'être toujours prêt au cas
où, il faut donc être rangé... au cas où.
Une autre rencontre absolument majeure fut celle de Reiner Gramlich, un grand peintre post fauve munichois, membre du
groupe Spure, intime de Franz Falch, un des plus grands sculpteurs allemand d'après guerre. Une rencontre avec cet artiste
reconnu fit sauter les derniers verrous qui me retenaient au monde des normaux. En le rencontrant j'ai su que j'avais trouvé mon
chemin, je serai artiste. Je venais de croiser la liberté dans l'art. Cet homme, élève d'un élève de Paul Klee, avait jeté par dessus bord
toute forme de technique, tout formalisme, c'était juste ce qu'il me fallait pour débuter. J'ai mis un an à comprendre son travail et ses
tourments. Il fallait bien sortir de l'histoire post fasciste qui a tant marqué les artistes allemands d'après-guerre. Certains avaient
choisi la contestation violente, la lutte armée, d'autres au nom d'une contestation des façons de pensées toutes germaniques,
avaient jeté tout académisme aux poubelles de l'histoire. Cette façon de concevoir la peinture m'allait très bien et me permit de
rencontrer des artistes différents. Il fallait voir ce que cette façon de peindre, avait pu produire chez nous comme effet galvanisant.
Puis ce fut la rencontre et la naissance du groupe Art Cube, ou la pensée politique était omniprésente bien avant la pensée artistique.
Pour autant nous ne faisions pas de la peinture politique, c'était plutôt dans la posture, dans notre façon de concevoir notre rapport
au monde et dans le refus de la compromission que nous essayions d'avancer.
A partir de là j'avais acquis le statut d'artiste, et pour faire plaisir à mon maître je partis me former à la taille de pierre qui me fit
comprendre l’intérêt de la répétition. Chaque pierre est essentielle et nécessaire à l'édifice, mais par son positionnement, différent des
autres lui donne son caractère particulier. C'est bien plus tard que je me rendis compte que la série a bien quelque chose à voir avec la
taille de pierre.
Puis, grâce mon installation en terre minervoise, je fis une double rencontre, celle de Tony Harding, un peintre londonien très
europhile, grand représentant de l'art concret, et celle de FrançoisViguié, un pur intellectuel, grand lecteur de Wittgenstein, de
Lacan aussi, et metteur en scène.
Tony Harding mit un peu d'ordre dans ma façon de travailler, tandis que moi je mettais un peu de désordre dans la sienne. Avec
lui je réappris à passer la couleur, à recomposer mes propositions. Il faut avoir vu des peintures de Harding ou pas un seul coup de
pinceau est visible, la main du peintre est absente, et pourtant.
Par contre l'hispano-biterrois que je suis, lui fit aimer la couleur, un point faible à mon avis dans sa vision artistique.
Avec Viguié, j'ai enfin mis en pratique les diverses théories de la sérialisation. Aimant beaucoup la musique de Steve Reich, de
Schoenberg et d'autres compositeurs sériels, je demandais à Viguié de me faire travailler la peinture comme la musique sérielle,
et c'est ainsi qu'en 1999 je réalisais une série absolument sérielle « Les poivrons ». Cette série fut mise en musique par Christian
POCIELLO, talentueux musicien et compositeur travaillant autour du silence. Mais c'était trop contraignant pour moi. Je décidais
donc d'adapter. En premier plan une image fixe, et en arrière plan le « décor » qui lui bouge. C'était une sorte de mise en perspective
de la phrase de Nougaro dans la chanson « Paris mai », « Avec ma belle ami quand nous dansons ensemble, est-ce nous qui dansons
ou la terre qui tourne ? » Ma façon de concevoir la série était enfin aboutie et depuis je ne travaille que dans ce sens.
Mon amour pour le travail d'Archipenko me tint toujours éloigné de la façon de peindre et de se comporter de peintres comme
Wahrol et la factory, des éléments tellement radicaux qu'ils ensont devenus des figures de mode.
Et pour paraphraser Louis Calaferte, qui en parlant de JeanCocteau, le traitait de Jean Cocktail, ces artistes radicaux ont
bien manqué de tenue esthétique et surtout éthique. Largement récupéré par un système qu'ils avaient honni, ils n'ont fait que
conserver les places ainsi acquises.
La dernière rencontre qui m'aura permis de découvrir quelque chose de neuf dans la façon de peindre, c'est à mon marchand de
couleur que je la dois. Il me fit connaître un produit, non pas prohibé mais un produit tout a fait banal, ordinaire.
Il me donna un échantillon de « blanc de Tutti » qui traîna longtemps dans mon atelier jusqu'au jour où j'ai su qu'en faire.
Ainsi était née la série avec ce blanc pour chercher le noir, quelque chose de nouveau (peut-être) puisqu'à ce jour je n'ai vu personne
l'employer de cette façon. Et comme le dit compositeur Christophe CHASSOL, la musique sérielle à quelque chose de mécanique, et
dans ma façon de passer le blanc de Tutti, il y a quelque chose demécanique, qui a fait penser à certains que j'avais une machine
pour le passer.
Oui pour moi, tout a été une question de rencontres, c'est pour cela que j'ai toujours hésité à croire qu'il n'y a pas de hasard. Mais, la
réflexion de Claude Roffat, rédacteur en chef de « l’Oeuf Sauvage », certaines rencontres sont inscrites, on ne peut ni les provoquer
ni s'y soustraire, est tellement vrai pour moi qu'elle me replonge encore plus dans une belle perplexité. C'est
toute l'histoire de la peinture. Lorsqu'on croit la maîtriser c'est là qu'elle nous échappe le plus.
Enfin, last but not least,une phrase du peintre Louis Ferrand qui ramène le propos à ce qu'est vraiment la peinture pour moi :
« Ne dis rien de ta peinture, c'est elle qui doit parler pour toi. Laisse-là, seule, te conter » à celui qui la regarde de la commenter,
de l'apprécier, de la détester où de l'aimer.
Jomy le 1er mars 2018
ANNEXES
Si je me pose régulièrement la question du pourquoi je peins sans en trouver de réponses acceptables, les philosophes comme Daniel
Begard, m'amènent quelques solutions. Un autre jeune poète et par ailleurs professeur de philosophie, Remi SOUAL a écrit sur
mon travail quelques lignes qui vous permettrons de comprendre peut-être mieux ce que je fais.
Lois des séries et singularités picturales
« La peinture de Jomy, prolifique, obéit à la règle de la répétition afin qu’émerge la significative différence pour reprendre la
terminologie deuleuzeienne. Il semble même que le tableau ne soit pas la finalité, mais l'ensemble dans son intégralité, suggère, dans
ce jeu incessant du même et de l'autre, par les variations opérées, une grille de lecture des thématiques abordées, selon une logique
figurative ou non, d’où apparaissent certains traits distinctifs, décelables, grâce à la vision de l'unité plurielle des peintures...
Peindre d'une manière sérielle nous parle donc d'une obsession, d'une quête effrénée, que le geste du peintre, s'attachant à
rappeler que la peinture plus que représentation, demeureessentiellement peinture, c'est à dire regard porté sur sur le monde
proposant, lui aussi sa norme, le plus souvent uniforme, conforme, quand l'accident s’avère l'individu porteur d'histoire...
Des lors les lois que s'impose Jomy dans son travail pictural ne paraissent des conditions de l'identique que pour mieux être
déjouées, et suggérer derrière les images ressemblantes, l'image originale, authentique, celle qui peut nous délivrer sa part de vérité,
une dans le groupe : en quoi l'Anarchie qu'apprécie le peintre, ne saurait être seulement théorie politique, elle se révèle dans l'atelier
de l'artiste pratique esthétique, où à force de répétition, de luttes incessantes avec la matière et la couleur, se devine le plus souvent
oublié par l'histoire, un être dans sa singularité, intime, historique, et également universelle !
Lois des séries donc, mais primat des devenirs singuliers.
Remi Soual , été 2017
Autre réflexion autour de la série. Celle-ci est pour moi la plus explicite de ce que j'essaie de faire.« Une série n'est pas une liste,
d’où la possibilité de la réduire à la répétition mécanique du même. Mais dans le même temps, la notion de série requiert une règle
de succession, dont la singularité tient au statut logique et non chronologique : Ce qui organise la série c'est le déroulement de
la séquence ouverte (…) La succession est potentiellement infinie. La finalité se déclare quand la fin s'accomplit.
Marie-Claire Ropars Wuilleumier in « La forme en jeu »