10 octobre 2020 - Bernard GUITER - La peste freudienne et le coronavirus
LA PESTE FREUDIENNE ET LE CORONA VIRUS
Le lundi 16mars à 20 heures le président Emmanuel Macron déclarait dans son allocution télévisée : « Nous sommes en guerre » propos qu’il tint 6 fois en ajoutant un mélancolique futur : « Le jour d’après ,quand nous aurons gagné ,il n’y aura pas de retour au jour d’avant » et il décrivait alors les mesures de lutte dont le confinement et ses lois.
Il faisait alors appel à l’unité nationale , à la « France unie » comme ciment premier de la lutte future contre le mal à venir, un invisible ennemi , le corona virus .
Il pondérait ensuite son propos en parlant de « guerre sanitaire , certes » .
Mais les mesures sanitaires devaient s’appliquer dans cette guerre sanitaire :confinement ,déplacements autorisés (Ausweitz) interdiction de circuler dans les rues de la deuxième guerre mondiale) couvre-feu de la même époque
Dans son beau discours ,l’utilisation du mot guerre était impropre ce concept impliquant une déclaration de guerre impossible avec un virus, un conflit violent entre groupes armés et sans un hôte le virus meurt tandis que les armes humaines étaient inexistantes ( manque de protections élémentaires :masques, réduction des lits d’hôpitaux et du personnel hospitalier etc.) .
Par ailleurs la paix n’est pas seulement une absence de guerre mais il existe une paix d’impuissance qui en fait une guerre d’intimidation comme par exemple la guerre froide commencée de 1945 à1947 entre le bloc de l’Est ( URSS et pays satellites) et celui de l’ouest (Amérique et pays alliés ) et terminée en 1989 avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS. Coté virus Gérard Pommier pouvait ironiser : « Il ne viendrait à personne de traiter d’assassin un virus tigre (man-latter) un loup ou un virus qui font partie de la nature, cette puissance mauvaise et difficile à dompter ».
Pourtant les alertes avaient étés multiples : maladie de la vache folle de Creutzfeld Jacob SRAS , SIDA, ESB ,Ebola etc.
Le danger était si grand que le président George Bush déclarait en 2005 « Si nous attendons qu’une pandémie apparaisse il sera trop tard pour se préparer »
et de son côté Bill Gates affirmait en 2017 à la conférence pour la sécurité de Munich : « Les épidémiologistes disent qu’un pathogène transmis dans l’air et se propageant rapidement peut tuer 30millions de personnes en moins d’un an et il est probable que le monde aura à vivre une telle épidémie dans les 10 à 15 ans à venir" .
Le refoulé sous sa forme virale fait retour (les virus avec les bactéries et les levures , ces micro-organismes, sont les primo-ocupanti de la planète ) et même s’il est moins offensif que les bactéries : le bacille de Koch générateur de tuberculose a infecté entre 2000 et 2020 un milliard de personnes dont 200.000 ont développé la maladie et 35millions en sont mort et celui de Yersin provocant la peste, qui ne connaît aucun vaccin efficace , a été isolé dans 50.000 cas en 2015 par l’OMS.
Freud n’était donc pas tendre quand, se rendant à la Clark University en 1909 avec Jung et Ferenczi il s’exclame, survolant l’Amérique : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ».
En 1917 dans Analyse sans fin et analyse avec fin critiquant le proverbe qu’on lui oppose « Il ne faut pas réveiller les chiens qui dorment » il répond « Si les pulsions causent des troubles c’est une preuve que les chiens ne dorment pas ».
Mais il remarque que la psychanalyse est inopérante dans deux cas :
-en cas de crise aigüe : « L’ intérêt du moi est absorbé par la réalité douloureuse » .
-a titre prophylactique : « De toutes parts on nous mettrait en garde contre la témérité vouloir rivaliser avec le destin en entreprenant des expériences si cruelles avec les pauvres frères humains »
et c’est alors qu’il évoque la scarlatine : « Une scarlatine guérie laisse derrière elle une immunité contre la même affection (…) Il n’en vient pas pour autant à l’idée des internistes si un être sain est susceptible de contracter la scarlatine avec pour but cette préservation.
La mesure de protection ne doit pas instaurer la même situation de danger que celle de l’infection.
Ceci implique une présentation de cette peste que Freud promettait aux américains et qui devait à plusieurs reprises s’avérer la meurtrière la plus ravageuse de l’humanité :
1-La peste à Athènes :elle frappe la Grèce antique de 430 à 426 avant JC pendant les guerres du Péloponnèse , après les guerres médiques qui mirent en présence Grecs contre Perses
Ces guerres virent le massacre des Spartiate aux Thermopiles et la victoire des Athéniens à Salamine .
La peste d’Athènes est décrite par l’historien Thucydide qui la dit venant de l’arsenal du Pyrhé et se traduisant par des diarrhées ,des fièvres , des céphalées.
Les athéniens qui avaient accueilli les habitants de l’Attique ce qui provoque un entassement, une accumulation de déchets tandis que,le premier rite athénien imposant le non ensevelissement des cadavres, entrainent une diffusion rapide .
Un tiers des citoyens décèdent et parmi eux les militaires hoplites (4000 ) et les cavaliers. Périclès envoie ses troupes à Protides mais les soldats inexpérimentés provoquent la défaite athénienne.
Alcibiade est sauvé par Platon et Périclès , pris comme bouc- émissaire et accusé d’avoir détourné des fonds, deux de ses fils meurent de la peste avant qu’il ne succombe à son tour .
La peste athénienne semble plus maintenant un ensemble épidémique :typhus et autres affections que l’on regroupe sous le nom de syndrome de Thucydide.
2-La peste de Justinien : concerne l’empire romain d’Orient et ce pendant deux siècles (542-750).
Justinien veut reconquérir les territoires occidentaux passés aux mains des barbares mais cela risque de fragiliser les frontières orientales de l’empire romain d’Occident.
Pendant son règne va frapper la peste d’abord à Alexandrie ou les puces infectent les rats qui eux, infectent les hommes. La peste poursuit son carnage en suivant les routes commerciales jusqu’à Constantinople (ancienne Byzance) capitale de l’empire d’Orient.
Constantinople peuplée de 500 000 habitants perd la moitié de sa population tandis que son économie chute.
Malgré les efforts de Justinien et de son général Bélisaire les soldats nécessaires à la reconquête ne peuvent être payés (les citoyens sont exonérés d’impôt pendant l’épidémie) et le vaste empire soutenu par très peu d’hommes s’épuise.
C’est la lente agonie d’un empire qui mourra de moultes invasions et laissera place à la Sublime Porte Ottomane et ce par les maléfices d’une épidémie
3-La peste noire : peste féodale qui dure 7ans (1346-1353). Les routes de la soie assurent des échanges culturels et marchands entre l’Asie et l’Europe .
Les Mongols vont les suivre et fédérer les régions commerciales pour constituer le plus grand empire commercial de tous les temps allant de la Mer de Chine à la Pologne .
Ces Mongols vont protéger les routes de la soie, insécurisées (Pax Mongolica ) .Mais des conflits éclatent notamment avec la République de Gênes et se solde par le siège de Caffa , comptoir génois , par la Horde d’Or composée de Mongols convertis à l’Islam .
Pendant ce siège des soldats mongols meurent étrangement .Pour résorber cette hécatombe les soldats de la Horde catapultent les corps des décédés vers les Génois qui son infestées par la peste noire .
Faute de combattants , le siège est levé suite à une trêve et les protagonistes retournent chez eux .Les Génois infestent le bassin méditerranéen tandis que l’Eurasie est contaminée par les Mongols .
Un tiers de la population mondiale va mourir dont cinquante pour cent des Européens. Ceci aboutira à la fermeture des routes de la soie qui reprendrons leur souffle épique quand Vasco de Gama contourna le Cap de Bonne Espérance et ouvrit la route maritime des Indes.
4- La peste à Marseille : Le 25mai 1720 arrive à Marseille le Grand Saint –Antoine qui avait quitté la ville le 22 juillet 1719 soit dix mois auparavant .
Il avait reçu des patentes nettes lors de ses escales à Tyr et à Tripoli avant de se diriger vers Chypre ou il embarque 14 passagers. Un Turc meurt à bord et est jeté à la mer .
Les passagers descendent à Chypre et le bateau repart pour Marseille. Cinq personnes dont le chirurgien du bateau meurent à leur tour .
Le capitaine Château inquiet s’arrête à proximité de Toulon à Busc sans que les raisons précises de cette escale ne soient connues puis il fait cap sur Livourne ou les Italiens lui interdisent l’accès au port et le navire est ancré dans une crique.
Le lendemain trois personnes décèdent bord et les médecins qui examinent les corps font état d’une « fièvre maligne pestilentielle » .Au dos de la patente de Tripoli les autorités de Livourne mentionnent leur refus pour cause de mortalité.
Le navire fait cap sur Marseille ou le capitaine Château se rend au bureau de santé du Vieux-Port., bureau composé de14 : des négociants, marchands et capitaines de vaisseaux.
Deux échevins complètent le bureau de santé et si la peste est avérée le navire est mis en quarantaine à l’ile de Jarre ou celle de de Pomègues . Des infirmeries (lazarets) situées au bord de la mer sont destinées au passagers et au stockage de marchandises .
Le Grand Saint- Antoine est mis en quarantaine à l’ile de Jarre puis le bureau se ravise et l’envoie à Pomègues tandis que les marchandises sont stockées aux infirmeries de la Joliette.
La déclaration du capitaine Château est falsifiée et , maintenant , les 9 morts auraient étés victimes d’une intoxication alimentaire .
A la sortie de la quarantaine le gardien de santé du vaisseau décède mais le chirurgien le déclare mort de vieillesse. Les portefaix des marchandises meurent à leur tour de même qu’un mousse .
Décision est prise de conduire le bateau à l’ile de Jarre, de faire bruler les vêtements des décédés et d’inhumer ces derniers dans la chaux-vive .
Les marchandises sont destinées à la future foire de Beaucaire et ont probablement été sauvées par les marchands du bureau intéressés à ce négoce.
Mais il est trop tard et en aôut tous les quartiers de Marseille sont touchés 300 personnes meurent par jour et si au départ les morts sont enterrés dans la chaux- vive et leurs maisons murées ,les infirmeries sont maintenant saturées ,les cadavres jetés dans les rues .
La peste se propage :Toulon, Aix-en-Provence... atteint le Languedoc ,le Gévaudan .
L’épidémie diminue fait 120.000 morts en 1721, connait une deuxième vague en 1722.
Les coupables désignés seront le capitaine Château (falsification) et Jean-Baptiste Estelle ( enrichissement frauduleux ).
Les héros seront le chevalier Rose qui nettoie les rues des cadavres pour les mettre en fosse commune et Monseigneur Belzunce pour son aide aux victimes.
Les agents pathogènes ne semblent pourtant pas être les rats .Il existe deux sortes de rats :les noirs et les gris . Les noirs s’exilent pour mourir, les gris meurent sur place ,en ville mais en ce temps- là il n’y a pas de rat gris à Marseille.
En 2016 l’Institut Max Planck fait exhumer les restes des morts d’une fosse commune et analyse la pulpe des dents et montrera que la peste ne vient pas d’Orient mais est une autre vague de la peste noire féodale .
Si Freud faisait peu de cas des travaux de Pasteur la peste devait lui donner raison sur un autre point le refoulé fait retour ici sous la forme de micro-organismes : virus, bactéries , levures premières formes de vie sur terre qui par moment réactualisent leur ancienneté.
Tentons maintenant de tirer les enseignements de cette pandémie qui évoque le Pandemion de Milton dans son ouvrage Paradis perdu à savoir par- delà la capitale des enfers le chaos absolu .
-Sur le plan méthodologique de multiples théories s’affrontent. Nombreuses sont les conceptions issues des enseignements d’une autre pandémie qui fit suite à la boucherie que fut la Grande- Guerre :la grippe espagnole conception qui voulait que l’on ne prenne pas position pour l’enfermement car lorsque sévit la pandémie il est trop tard pour confiner .
Par ailleurs la distribution des prix est elle-même mise en cause : non la Covid 19 n’est pas ,dans le monde , la dix-septième cause de mortalité mais occupe la troisième place, la première étant attribué à l’hépatite .La référence statistique est contestée elle aussi : la méthode sociologique semble préférable et l’on doit entrer dans le détail des contagions : quels sont les axes de contagion (comme nous l’avons vu pour les routes de la soie ) , quelle est le mode de vie des populations ciblées en matière d’hygiène personnelle et d’habitat ,quelles sont les capacités de soin (hôpitaux, nombre de lits et de soignants etc. ) ,calcul du RO (nombre de contaminés pour un contaminateur ).Si comme le disent les épidémiologistes « Tous les modèles sont faux mais certains sont utiles » Lacan avait prévenu « La métaphore en usage pour ce que l’on appelle l’accès au réel c’est le modèle » et si Freud avait comparé psychanalyse (discours sur le fonctionnement psychique ) et peste cela veut dire que tout discours est une épidémie d’où la mortification du réel par le langage réel qui devient malade du signifiant
- Sur le plan de l’éthique nous retrouvons le discours de la Genèse ou la désobéissance à la loi de ne pas toucher à l’arbre de la connaissance du bien et du mal induite par le serpent qui lui fait miroiter qu’aux dieux elle s’équivaudra entraine le premier discours pervers : l’homme dit à Dieu qui constate sa nudité :ce n’est pas moi c’est la femme qui à son tour se défausse :ce n’est pas moi c’est le serpent qui lui ne peut rien dire. Neil Fergusson fera les frais de ce type de discours ce directeur du laboratoire Johns Hopkins fervent partisan du confinement se fera surprendre à traverser les rues de Londres en plein confinement pour rejoindre sa maitresse .
Que dire aussi de l’acharnement contre le professeur Raoult qui, même s’il se trompait, ne visait toutefois aucun génocide, était un scientifique de renom, Grand-Prix de l’INSERM et directeur du l’Institut hospitalo-universitaire visité par le président Macron puis accusé de harcèlement sexuel et de dictature envers son personnel ce qui lui valut deux ans d’interdiction de la pratique médicale. Cette défaillance par rapport à l’éthique est liée selon Lacan a l’angoisse de destruction que connait le scientifique particulièrement en matière vaccinale (nous avons vu la réticence freudienne précédemment.
Pasteur dut être convaincu par le docteur Grancher d’inoculer son vaccin lui n’étant pas médecin et n’emportant pas l’approbation de son équipe (Emile Roux estimant la démarche trop hâtive refuse de vacciner )
Ses détracteurs diront que Pasteur attristé par le sort de son fils à Sedan ou Napoléon II qu’il vénérait perdit face à l’Allemagne passât à l’acte ,son patient Joseph Meister étant Alsacien
En conclusion nous reprendrons l’hypothèse de ce génial psychanalyste qu’est Eric Laurent qui évoque La peste de Camus pour signifier que les héros humanistes centrés sur l’individu ne croyaient pas au fléaux et donc ne prenaient pas les précautions nécessaires et qui rappelle aussi La Fontaine dans Les animaux malades de la peste « ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés ».
Pour cet auteur le ‘tous’ doit s’unir en un ‘Tout’ qui constitue un grand Autre qui constitue une nécessité pour le sujet.
Bernard Guiter, Docteur en Psychologie ,en Sociologie et en Histoire, Habilité à diriger les recherches en psychanalyse , Qualifié aux fonctions de Maitre de Conférences