Argument de travail 2023-2024 "Quelle(s) loi(s) sur le chemin du désir ?"
Argument ESRFP 2023-2024
Jean-louis Doucet-Carrière
Quelle(s) loi(s) sur le chemin du désir ?
''Ce siècle autre en ses mœurs demande un autre style »
Agrippa d'Aubigné. 1
Dans son séminaire : « L'éthique de la psychanalyse » Lacan pose l'identité du désir et de la loi :
Au delà de ce que la loi autorise le ticket du désir n'est plus valable...
Les acceptions du désir sont donc indissociables du rapport contemporain à la loi.
Les problématiques désirantes que sont les souffrances psychiques, les pathologies du désir que sont les addictions,
quelles qu'elles soient (aux produits toxiques mais aussi à la religion, à l'argent, à la nature, au sexe)
nous indiquent sûrement une vacillation du rapport à la loi, mais peut-être bien plus encore, une déconstruction du concept de loi.
Pour Freud, c'est sur le roc de la loi de la castration que le vivant humain venait à révéler son désir ;
il nous a montré que la castration - opération symbolique, portait sur un objet imaginaire - le phallus.
Lacan, tout en maintenant sans restriction la fécondité du concept de castration symbolique, nous montrera que l'être humain,
du fait de la morsure du langage sur son corps, était, en plus de sa prise dans le symbolique et l'imaginaire,
soumis à un impossible, à la dimension infrangible du réel.
Nous partirons du postulat suivant : La loi est le témoin de l'incomplétude de tout être parlant.
Elle organise les rapports humains car elle répond au manque-à-être de l'animal doué de langage.
La psychanalyse freudo-lacanienne nous montre la sujétion du vivant humain aux lois de la parole et du langage.
En découle une adresse à l'autre et donc la nécessité d'une place pour l'écoute.
Cela soulève bien des questions qui participent sûrement du malaise que traverse notre société et au delà,
comme Freud l'avait si pertinemment analysé, de notre civilisation.
Ce sont les questions de la nature transcendante ou immanente de la loi, du rapport entre loi écrite et loi orale,
de la place actuelle du surmoi dans l'économie psychique...
La surabondance des lois qui sont votées par un parle-ment où on ne parle-plus ou du moins où personne ne s'écoute,
ne vient-elle pas dénaturer le concept-même de loi ?
On entend parler de la loi du marché, la loi du genre ; la loi de la nature, du plus fort...
Quel rapport avec le désir ? Quelle(s) place(s) pour la (les) lois quand un déni du réel comme impossible issu d'un scientisme délirant,
semble se dessiner comme... force de loi ?
Les lois de la République sont mises à mal par celles de la théocratie économique qui nous gouverne.
Il paraît désormais urgent d'interroger la place qu'occupent la ou les lois dans l'économie psychique de sujets qui,
s'ils sont sujets de l'inconscient, sont aussi acteurs dans une société.
C'est, peut-être, une des façons de nous maintenir sur le chemin du désir, du manque-à-être,
en ne cédant pas aux Sirènes qui nous chantent le refrain mortifère de la trouvaille possible qui nous complèterait.
1 Cité par Marguerite Yourcenar in ''Les tragiques'' in ''Sous bénéfice d'inventaire'', p 42, Gallimard, 1979