Paroles singulières en Méditerranée

Liste des intervenants

Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Dr Jean-louis Doucet
Dr Michel Leca
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr François  Morel
Dr Augustin  Ménard
 Rajaa Stitou
 Jean-Paul Guillemoles
Dr Marie  Allione
 Claude Allione
Professeur Bernard Salignon
Professeur Roland Gori
 Bernard Guiter
Pr Jean-Daniel Causse
 Gérard Mallassagne
 Jean-Claude Affre
Dr Marie-José Del Volgo
Dr Jean-Richard Freymann
Dr Patrick  Landman
 Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Marcel Ventura
Dr Marie-Laure Roman
 Franck Saintrapt
 Lionel Buonomo
Professeur Gérard  Pommier
Dr Arielle Bourrely
  ACF-VD
 Laurent Dumoulin
 Jomy Cuadrado
Professeur Michel  Miaille
 Guilhem  Dezeuze
 Aloïse Philippe
Dr Jean Reboul
Philosophe Jean-Louis Cianni
Dr Bernard Vandermersch
 Eva-Marie  Golder
 Bernard Baas
 René  Odde
 Daniel Nigoul

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PAROLES SINGULIÈRES EN MEDITERRANEE

1er avril 23 EM GOLDER "l'enfant "trans" s'offre t-il comme Chose mélancolique à la mère toute puissante ?"

ESRFP, matinée du 1er avril 2023, à SETE


Introduction de Jean-Louis DOUCET-CARRIERE


Avant de lui laisser la parole, il me paraît important de souligner l'importance des travaux d'Eva-Marie Golder et l'actualité du titre qu'elle a donné à sa conférence.
Nous avons choisi de traiter cette année de la perte du sens de la tragédie dans nos sociétés contemporaines ;
c'est un paradoxe que de le dire mais le titre de la conférence d'Eva-Marie nous montre, je crois,
que c'est à perdre le sens de la tragédie que l'on sombre dans le tragique de la situation des enfants trans.
Deux mots pour expliquer cela : le sens de la tragédie naît de l'incomplétude du genre humain du fait de sa prise dans le langage.
L'être humain est torturé, écartelé entre la vérité des choses et la vérité des mots.
Ces deux vérités sont indissociables mais incompatibles.
Je rapprocherais cela de la formule de Scott Fitgerald '' La marque d'une intelligence de premier ordre, c'est la capacité d'avoir deux idées opposées présentes à l'esprit, en même temps, et de ne pas cesser de fonctionner pour autant.''
Les tragédies des grands classiques ont pour conséquence de nous amener à penser.
L'intelligence est le fruit de cette pensée et de la prise en compte de la dimension tragique de l'humain.
Si, comme le soutient Roland Gori, ''La pensée est le témoin de la dimension mélancolique de l'existence'',
l'absence de pensée, le fait de ne pas tenir compte de l'existence simultanée et inséparable de ces deux vérités évoquées plus haut,
plongent tout sujet dans l'abîme de la rencontre avec Das Ding, la Chose que Freud nous présente comme l'objet d'une jouissance absolue.

Choisir, décider ce que l'on veut être, être maître de soi comme de l'univers, n'est-ce pas la question que soulève, tragiquement, la problématique des enfants trans ?
 
 
Conférence de Marie-Eva GOLDER

Là, je ne peux plus me taire – de l’euphorie de l’auto-nomination au Cotard


Strasbourg et Sète, printemps 2023

Eva-Marie Golder


Vous n’avez rien dit quand je me suis agité, mais vous m’avez donné de la Ritaline

Vous n’avez rien dit quand j’ai refusé d’aller à l’école, mais au nom du respect d’une phobie, vous m’avez laissé sous ma couette

vous n’avez rien dit quand j’ai passé ma journée sur TikTok, au nom de mon libre choix

vous n’avez rien dit quand je buvais de l’alcool jusqu’à m’écrouler quand je disais que j’allais voir une copine, au nom de la confiance

Et maintenant que je me mutile, on vous fait taire parce que vous refusez de m’affirmer


Vous aurez reconnu la retraduction actualisée des mots du pasteur Niemöller qui admet n’avoir jamais pris position durant la deuxième guerre mondiale et de l’avoir payé très cher, parce que lui-même n’a plus été entendu quand, à la fin, il a été cherché par la Gestapo et qu’il a appelé à l’aide. Il n’y avait plus personne pour l’entendre, pour dire non.


Il n’y a plus personne pour dire non. Vraiment ?


Non, je ne peux plus me taire quand je vois ces enfants déprimés par leurs heures de visite sur Instagram, ces enfants qui ont perdu l’élan de découvrir, qui croient que ce qu’ils demandent doit être obtenu dans l’instant, parce qu’ils ne savent pas que le passé et le futur existent. Et je ne me tais plus quand je reçois des parents qui m’amènent leurs petits parfois dès l’âge d’un an parce qu’ils ne dorment plus ou parce qu’ils commencent déjà à les frapper. Je suis révoltée quand je vois que de plus en plus de médecins acceptent de jouer aux Docteur Folamour, au nom d’une compassion mercantile.


Nos enfants vivent dans un monde qui oscille entre la surprotection anxieuse, l’infantilisation prolongée, l’exigence de performance et une forme d’indifférence à ce à quoi ils sont exposés par le biais du numérique. C’est un monde qui a oublié que l’enfant a besoin d’un accompagnement qui lui ouvre progressivement un espace de plus en plus large, en fonction de ses moyens affectifs et intellectuels et qui le laisse hésiter quand ses identifications sont encore floues, sachant que plus il est péremptoire, plus il a des chances de se tromper. Cet oubli de la responsabilité parentale est aujourd’hui fatal pour certains enfants fragiles. Ceux qu’on laisse « transitionner » pour être dans l’air du temps. Ils étaient moins d’un pourcent il y a encore dix ans. Leur nombre a explosé depuis et les bonnes affaires aussi. C’est d’eux que je voudrais vous parler aujourd’hui, comme paradigmatiques d’une forme de décadence civilisationnelle qui en fait l’otage. 


L’enfant, l’in-fans, celui qui seulement entre dans le langage, il n’est pas tout fini, il se cherche. Il ne suffit pas d’expliquer une fois, ou même dix, pour que l’enfant accepte de comprendre immédiatement. En cela, il ne fait rien d’autre que son travail d’enfant. Or, la mode actuelle de l’éducation positive feint, au prétexte du respect, ignorer qu’elle ne protège pas l’enfant quand elle préconise de ne jamais lui dire non, elle le prive simplement du point d’appui sur un adulte qui n’a pas peur de ne plus être aimé. L’éducation positive est une forme de paresse qui mise sur la rationalité et croit à l’effet magique de l’explication. L’enfant n’a plus le droit de ne pas comprendre, il n’a plus le droit de mal comprendre, et surtout, il n’a plus le droit de se tromper. Et dans le domaine de la sexualité cela est en train de virer au cauchemar. Ce qu’il dit, est.


Nous sommes confrontés à une mutation socio-culturelle majeure et nos autorités et institutions s’alignent comme un seul homme derrière la propagande. Quand ils acceptent, on les entend, comme c’était le cas le 30/09/2021, lorsque Blanquer exige des écoles qu’elles respectent le choix de genre et de nom des enfants dysphoriques ; lorsque le Planning Familial fait la propagande d’un homme trans enceint, on le voit ; quand la CAF fait la publicité pour la transaffirmation des adolescentes, on trouve l’image en première page séduisante. Le syndicat SUD s’est même permis d’emboîter le pas au ministre et aux écoles et universités américaines en préconisant de ne pas informer les parents de ce changement, parce que ceux-ci risquent d’être les premiers à s’opposer à la transition de leurs enfants. Un bon parent est celui qui « affirme » la transition de son enfant. Nous en avons une belle illustration dans le film de Lifschitz « petite fille » qui a eu un succès retentissant. Une bonne propagande est celle qui ne choque pas mais qui plaît. Depuis la création du Smartphone et l’apparition concomitante des réseaux sociaux, nous nous sommes transformés en moutons de panurge et les quelques réticents et lanceurs d’alerte se font réduire au silence ou arroser de litière de chat. Entretemps, les opérations et traitements à vie ont commencé sur des enfants mineurs. La prise en charge de la Sécurité Sociale est à cent pourcent. Ce serait donc une maladie ? Une longue maladie ? De qui ? De la société ou de l’enfant ?


Il s’agit de faire une différence radicale entre les enfants qui se disent mal dans leur corps dès le plus jeune âge et la vague actuelle qui concerne pour une grande partie les jeunes filles adolescentes qui demandent à faire leur transition. Les motivations ne sont pas du tout les mêmes. Pour ma part, j’ai relativement peu à faire à des enfants trans en consultation. Ils ont leur circuit propre et ne reviennent pas longtemps me voir, si d’aventure ils s’égarent chez moi, parce que mon discours n’est jamais « transaffirmatif », mais cherche à questionner, à parler d’« autre chose ». Les quelques fillettes de 9-10 ans que j’aie pu voir dans ce contexte étaient flanquées de leur mère qui, comme dans le film de Lifschitz, veillait à ce que rien ne vienne déranger leur discours à elles, la mère. Aborder « autre chose » était simplement inenvisageable. Donc cela se limitait à chaque fois à quelques séances et s’arrêtait quand la fillette ne restait pas dans les clous, comme celle qui disait à sa maman en consultation : « mais maman, quand je serai grande, je veux bien être une femme. » Les mères trouvent les « bons » thérapeutes, ce qui de nos jours est très facile, c’est tout un filon. Pour la plupart, les pères suivent passivement. « Être soi-même objet a c’est perdre toute possibilité de deuil, c’est perdre l’objet même du deuil », dit Marcel Czermak. Le réel les saisit. Pourquoi les mères ? Parce que la séparation d’avec l’objet, la question de l’objet a, c’est une question de coupure d’avec le maternel.


Comment, dans un pays qui condamne l’excision comme pratique barbare et l’a, à juste titre, criminalisée, en est-on venu à châtrer ses propres enfants au motif du droit fondamental de l’enfant ? Comment ne pas voir que les jeunes adolescentes qui demandent une mastectomie sont prises dans des réseaux qui ne les lâchent plus ? Il y a encore peu, la problématique trans concernait beaucoup plus les garçons et très jeunes déjà. Le phénomène adolescent, notamment chez les filles, est très récent et répond à d’autres problématiques que la dysphorie des jeunes enfants. Ces jeunes filles baignent dans des messages contrastés, entre la pornographie affichant des corps déjà « augmentés » pour ressembler aux vedettes des « Marseillais » et les promotions de la torsoplastie ; elles sont prises entre l’injonction de l’hypersexualisation et le désir de ne pas grandir dans un tel monde. Ce qui reste constant dans les deux groupes, est la prévalence d’un grand malaise psychologique, un syndrome dépressif.


Les décennies qui ont suivi la dernière Guerre Mondiale ont vu des mutations civilisationnelles radicales. Mai 68 en est une épiphanie, le 11 septembre 2001, une autre, le phénomène du transsexualisme encore un autre. Et plus le mouvement des différentes idéologies se radicalise, plus le monde devient féroce, plus la famille devient le lieu du repli rassurant dans lequel on cherche à éviter les conflits. Avec plus ou moins de succès.


Le langage a changé, le management et le numérique ont façonné notre vocabulaire. Le recours aux savoirs délégués à Google et Wikipédia a rendu paresseux ; et pire encore, la confiance accordée à ChatGPT a rendu aveugle. Le politiquement correct ne cesse de toiletter notre vocabulaire. Les dix petits nègres d’Agatha Christie ont été rebaptisés, la Bibliothèque verte a été expurgée des phrases trop longues et du subjonctif, Roald Dahl est réecrit en Angleterre pour ne choquer personne. Le Robert a introduit « iel » comme nouveauté. Après la féminisation des noms de métier, le langage inclusif a envahi les textes officiels. A côté de ce langage qui se veut bienveillant et ne fâcher personne en disant tout en même temps, un contrôle féroce s’emploie à ne rien laisser passer. Si ce n’était pas le signe d’une soumission à des fonctionnements pervers, la déclaration de Kamala Harris au moment de sa prise de fonction indiquant par quel pronom elle souhaitait être interpellée, pourrait prêter à rire par son absurdité. L’intersectionnalisme prétend faire de la place à toutes les minorités, alors qu’il a inauguré une machine de censure digne de la contre-réforme. Les réseaux sociaux se sont érigés en inquisition.


En attendant, nous ne voyons même plus que nous sommes devenus nous-mêmes le produit que les plates-formes numériques se revendent. C’est peut-être la plus grande paresse intellectuelle actuelle, la plus dangereuse. Les parents ne voient même plus que leurs enfants sont pris par la main et amenés directement vers des passages à l’acte irréversibles. Et quand la jeune fille arrive en demandant un bandeau de compression pour les seins, un changement de prénom et de pronom, c’est déjà trop tard. Avec la bénédiction de nos autorités, l’enfant se transforme en zombi. Nous sommes dans le monde de l’« affirmation », terme à la mode dont il sera encore question plus loin, véritable néologisme qui témoigne de la pétrification du langage. Car l’« affirmation » est une certitude, une conviction délirante quand elle enferme l’enfant dans le sexe qu’il choisit au gré de ses tourments du moment, parce que le sexe n’est plus le sexe, source de désir pour un autre, mais il s’est transformé en genre qui préexiste et qui attend d’être découvert par l’enfant, hors corps sexué, corps châtié de n’être pas conforme, corps qui n’est plus corps désirant. Il n’y a plus de désir, il n’y a que de la demande sans au-delà. Ah, mais on ne savait pas, on ne voulait pas voir.



Butler et son monde


J’ai essayé de comprendre. Le thème est à la mode. Mais à lire les auteurs qui parlent des transformations radicales - Rosenvallon sur la question politique des soixante dernières années, à étudier de près Éric Marty et de Jean-François Braunstein, Nicole Athéa, Céline Masson, Caroline Eliacheff et d’autres encore - c’est un nom qui est revenu très souvent : celui de Judith Butler. J’ai donc lu son premier ouvrage pour ne pas me contenter des lectures secondaires. « Troubles dans le genre » a failli me tomber des mains plusieurs fois. C’est l’écriture d’une féministe, mais avec une option qui n’a plus rien à voir avec les luttes politiques ni des suffragettes ni des femmes qui luttaient pour la liberté de concevoir un enfant ou pas. C’est un féminisme qui veut s’affranchir du sexe même. Grâce à sa théorisation du sexe, comme phénomène purement discursif, elle a élargi le spectre de ses développements à toute la variété du monde LGBTQIA+++etc. A la lire attentivement, on ne peut qu’être saisi par les biais qu’elle donne à son discours, prenant le parti systématique d’utiliser tous les concepts empruntés, essentiellement aux Français, dans un sens qui n’a que peu à voir avec leur sens originel. Son cheval de bataille est la lutte contre ce qu’elle considère comme outil de domination des femmes : la définition de ce qu’est le sexe et la place des femmes. Pour elle, le sexe n’est pas une donnée biologique, mais la résultante d’un discours genré, évidemment hétéro-patriarcal. Une pure invention idéologique. Sur cette base se fondent aujourd’hui toutes les pratiques autour de la question de l’inclusion, de l’intersectionalisme et de la transidentité. La langue elle-même a subi des changements qui sont loin de faire l’unanimité. Dès 1982, les textes administratifs sont censés utiliser la féminisation des noms de métier ; une petite dizaine d’années plus tard a lieu la réforme de simplification de l’écriture. A regarder de près, ce type de changements ne peut aller que dans le sens d’une désinvolture généralisée vis-à-vis de l’orthographe qui ne semble plus gêner grand monde, si ce n’est quelques éditeurs, quelques pédagogues, quelques académiciens, et tous les amoureux de la langue. En Allemagne, l’écriture inclusive existe depuis 1986. En langue française, elle a été introduite dès 1970 au Québec puis en Belgique et en Suisse. La France a mis plus de temps. En France, la première réaction virulente a lieu en 2017, quand les Éditions Hatier publient un manuel scolaire avec le point médian. Si ce n’était pas consternant, on pourrait en rire, tellement la langue se met à bégayer. L’intention qui sous-tend ce procédé est plus contestable, puisqu’il ne s’agit pas tant de faire une place à la femme, comme dans les féminisations des noms de profession, mais de vouloir dire tout en même temps. Donner cette pseudo-fluidité digne du queer à la langue pour faire de la place à un « tout » imaginaire qui s’écrirait en même temps, a comme résultat de faire éclater le mot. Cette intervention sur le corps de la langue n’est pas sans rapport avec l’intervention sur le corps des enfants. Elle rejoint l’acte même de la « transition », qui s’initie par la récusation du nom de naissance et par l’exigence du changement de pronom. Que Le Robert ait accepté d’introduire « iel » dans son dictionnaire montre l’impact du lobbying des milieux transactivistes.


L’ouvrage de Butler s’insère en 1990 avec une sorte de logique imparable dans cette grande mutation de la question du genre, pris cette fois-ci non dans le sens grammatical et sociologique, mais au sens large, grammatical et biologique. Sa grande invention est le concept de performativité. Son premier livre admet certes la fluidité des genres, leur pullulement possible, mais elle n’évoque pas encore les possibilités qu’offre le pouvoir bio-médical actuel, et pour cause. Depuis lors, d’autres s’en sont chargés et avec beaucoup plus de virulence, comme Espineira et Preciado. L’épidémie d’aujourd’hui, orchestrée par de bruyants supporters, l’a largement dépassée et est venue après l’écriture de cet ouvrage.


Les enfants sont devenus les premières victimes.


L’affirmation de base butlerienne est qu’il n’y a de sexe que dans le discours. Le sexe biologique n’est pas considéré comme donné, mais est pour elle la résultante d’un discours. Au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture, on s’aperçoit que c’est plutôt le « genre » qui serait une donnée fondamentale. Le « sexe » est remplacé par « hétérosexisme ». La différence sexuelle ne serait donc pas une donne, mais une pensée. Elle le dira plus loin également : « L’idée de la « biologie comme destin » (petit coup de griffe contre Freud), permet de soutenir que le genre est culturellement construit indépendamment de l’irréductibilité biologique qui semble attachée au sexe » Puis : « les faits prétendument naturels du sexe sont-ils produits par différents discours scientifiques qui servent d’autres intérêts ». Pour elle la relation hétérosexuelle est une construction idéologique et sert à la domination des femmes. Elle ne dit pas trop comment on fait des enfants, mais cela ne semble pas la préoccuper. 


Si on arrive à aller au-delà de ses démonstrations assez alambiquées au demeurant on finit par cerner progressivement comment elle donne une torsion au langage pour prouver non seulement que le sexe dit « biologique » serait une production discursive, et donc factice, mais que, si le sexe n’est pas une donne, alors il est possible de le choisir au gré. A ces fins, elle introduit son concept princeps, la performativité. Ce dernier a été emprunté à Austin, mais il a, lui aussi, subi, comme tous les autres concepts utilisés par elle, une torsion qui fait que la performativité n’est plus un effet réel d’une parole symbolique (« je te baptise du nom de… ») mais un effet dans le réel d’un vœu imaginaire (« je dis que je suis un homme/une femme/ un queer etc, donc puisque je le dis, je le suis ») et se réalise par l’énonciation. Elle rajoute cependant qu’il s’agit de répéter ce « performatif » pour le maintenir. Car en effet, cela n’a pas l’air d’être une affaire permanente. A sa rescousse, elle cite Derrida, ou encore Foucault, ou même Lacan. Ils s’en sortent passablement estropiés. Intéressante remarque : la performativité est une métalepse, dit-elle, « de la manière dont l’attente produit ce que cette même attente pose précisément à l’extérieur d’elle-même. » (35) On sait que le moi est le lieu de la méconnaissance et parler de l’identification au sexe, au sens butlérien, veut dire qu’il y a réalisation dans le réel du corps de ce que l’imaginaire « attend » comme métalepse. C’est donc une histoire qu’on se raconte, ce qui traduit bien la dimension imaginaire de la question butlerienne. Le symbolique est systématiquement éliminé. On est dans la pensée magique.


Vers la fin de son ouvrage, Butler dit que dans l’identification sexuelle du type « patriarco-hétérosexuel » l’objet perdu est incorporé et aurait des effets de mélancolisation. (156). Ceci serait dû au double interdit de l’homosexualité et de l’inceste (156/158/163). D’ailleurs, il n’est question que des filles pour qui l’interdit de l’inceste avec leur mère engendrerait ce mouvement d’incorporation du corps maternel « prohibé », sous forme de crypte (un peu d’Abraham et de Torok qu’elle cite). « La perte refusée de l’homosexualité et l’amour préservé ou enseveli dans les parties du corps lui-même, deviennent littéralement des faits prétendument anatomiques du sexe. » (167) dit Butler, pour qui l’homosexualité est l’orientation naturelle de la femme. L’hétérosexualité comme contrainte contre-nature pour la femme ne pourrait se faire que sur fond de mélancolie. Le concept de castration n’a de sens pour elle que dans la dimension organique. La dimension de renoncement ne peut donc se payer qu’au prix d’un déni mélancolique. Un véritable pot-pourri théorique. Devoir en passer par le pénis semble un obstacle majeur. Phallus et pénis, même combat.


Alors, mélancolie ou pas ? Cela vaut la peine de s’y arrêter, même si l’apparition de ce terme peut surprendre dans ce contexte. Mais lorsqu’on observe l’héritage de ce livre qui date de 1990, on est bien obligé de constater qu’en effet, l’auto-nomination performative vise un monde dans lequel rien ne manque, sauf le manque, et finira quelques vingt ans plus tard par aboutir à des passages à l’acte réels sur le corps sous une forme d’épidémie au nom de la liberté qui masque à peine le fond dépressif sous-jacent de la jeunesse qui en est la victime.  


Le corps dont elle parle est disjoint du désir, pure machine à plaisir pour un individu. Le plaisir peut être obtenu dans « une discontinuité radicale entre plaisirs sexuels et les parties du corps – appendices et orifices – qu’il n’est pas nécessaire de posséder en propre ». Ce monde sans autre, ce monde du moi-je qui confond différence et altérité, trouve dans ce premier ouvrage de Butler tout l’attirail discursif que nous connaissons aujourd’hui, centré sur l’autodéfinition du sexe/genre, sur une jouissance d’organe sans adresse, une boucle autoérotique. Partie pour écrire un livre féministe, elle engendre un mouvement de fond qui ne donne de place à la femme qu’à condition qu’elle ne revendique pas d’être reconnue comme telle ; puisqu’elle est en quelque sorte une rivale déloyale de LaFemme, celle qui a dû faire plein d’efforts pour le devenir et qui n’est appréciée ni dans leurs WC, ni les dortoirs de filles, ni les prisons.




de la mélancolie butlerienne au syndrome de Cotard.

« un monde sans manque et sans manque de manque qui nous approche du syndrome de Cotard », Marcel Czermak 1995


Dans son héritage, et grâce à ce concept majeur de la performativité, il y a le mouvement trans. Le genre advient pour l’individu, se manifeste pour lui dans une forme d’épiphanie, dit-elle. C’est exactement ce que disent des enfants de plus en plus jeunes, à qui le temps de l’hésitation n’est plus accordé. Il ne reste plus qu’à les « affirmer ». 


Ce mot d’« affirmer » a connu un sort tout à fait particulier. Dans le jargon des transactivistes, dans le jargon des familles qui acceptent, voire promeuvent avec virulence, la transition de leur enfant et dans les services médicaux qui s’en occupent, c’est devenu le terme central. L’enfant « affirme » son identité de sexe, ce qui veut dire qu’il en est sûr, et il exige des parents qu’ils l’« affirment » à leur tour. A la suite de cela, ils pourront faire des « soins transaffirmatifs ». Il n’y a pas que le corps qui est mutilé. Le langage l’est aussi.


« Affirmer » est un verbe certes transitif, mais seulement dans le sens d’une affirmation de quelque chose. Cette fois-ci il s’applique à une personne, qu’il faut « affirmer ». Cela montre par l’absurde que la question du genre n’est pas qu’une manipulation des corps, mais aussi une manipulation du langage. Le terme « affirmation » de genre n’est pas butlérien, mais il en est un héritier, et pas des moindres, puisque son usage souligne que la question du sujet est niée. « Je t’affirme », absurdité grammaticale, « performatif » au sens de Butler, devient témoin d’une absurdité ontologique.


L’acte performatif doit se répéter, dit-elle. Au regard de l’évolution actuelle, et tout particulièrement celle du vocabulaire « trans », force est de constater que cet « affirmer quelqu’un » n’est pas de l’ordre de la con-firmation, ni de la répétition : c’est une simple réduplication, comme on la rencontre dans la psychose. Le sujet ne reçoit plus son message de manière inversée de la part de l’Autre, mais il attend de l’autre qu’il fonctionne en miroir, comme dans le conte de Blanche Neige. La transaffirmation est la répétition d’un dire solipsiste qui entraîne le passage à l’acte sur la nomination et sur le corps. Il serait possible de faire tout un glossaire de ces termes redéfinis, comme « femme » qui devient « personne avec utérus », « pénis non-masculin » et j’en passe. Délire des négations ? 


La théorie du queer que Butler semble soutenir est encore une théorie de l’incertitude, de la fluidité, alors que la théorie trans d’aujourd’hui est caractérisée par une rigidité à la fois de l’exigence d’intervention et du discours. Car en effet, faute de pouvoir inscrire la question du manque dans le discours, ce manque est mis en acte sur le corps, par des mutilations permanentes. Tous les jours, la prise d’hormone rappelle la castration à l’œuvre. Et les discours revendicateurs qu’adressent les jeunes filles aux médecins choisis avec soin, rappellent étrangement la litanie des mélancoliques. Sauf qu’il ne s’agit pas d’autoaccusations et de pensées noires, il s’agit d’un discours copié-collé repris des sites transactivistes et formatés pour permettre après une courte consultation de sortir avec une ordonnance d’hormones ou de bloqueurs de puberté. « Ces troubles manifestent fondamentalement l’inaptitude d’organiser un discours. Ils sont dans l’a-discursivité. Ce que Cotard appelait la « perte de la vision mentale » fait d’ailleurs tout autant partie de cette a-discursivité », dit Marcel Czermak


Le déni butlerien du roc biologique se solde par une construction délirante de l’auto-production performative du genre choisi et les revendications virulentes sont bien plus proches de la paranoïa. Que la dimension dépressive soit prépondérante, il n’y a cependant aucun doute. La mélancolie a rapport au symbolique ; l’idéologie trans est une pseudo-discursivité du style de celle que décrit Viktor Klemperer dans son travail sur la transformation du langage par le Troisième Reich : on est dans le réel, dans la bidoche dont on se sépare avec dégoût. On peut donc effectivement noter que l’opérateur majeur manque, et Butler a largement contribué à son élimination en confondant pénis et phallus en une seule et unique signification. A défaut d’accepter la différence radicale introduite par le signifiant, on entre dans un monde où tout s’équivaut et où rien ne manque, bien au contraire, où il y aurait du trop. Un monde en sphère. On note, avec Czermak, que ce faisant on élimine, fidèle au monde hygiéniste, le désir comme sale. « C’est alors, dit-il, que l’obscénité se met à prévaloir ».Il n’y a qu’à faire un petit tour sur Google pour voir s’exhiber fièrement les torses « plastiés » des jeunes filles avec la rigole de chéloïde qui tracera à vie l’exigence de ce manque récusé.


Notons que dans les démarches trans, la première chose à changer est le nom, pas le corps. Il s’agit donc d’un premier acte de destruction du symbolique sous la forme de la récusation du nom donné à la naissance, du moins pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir immédiatement reçu un nom valant pour homme et femme ou un de ces noms fantaisistes que la mode actuelle promeut. Nous connaissons la question du changement de nom dans certaines religions, utilisé alors comme passage symbolique, comme dans le noviciat, en tant que « renaissance dans le Christ ». Nous en sommes loin, ici, car il s’agit au contraire d’un premier pas pour abolir les lois du symbolique, avant le passage suivant vers la castration hormonale. Il s’agit de faire sphère avec la néo-identité sexuelle/genrée que l’autre est sommé d’« affirmer » à son tour, faute de quoi, et avec l’appui des lois, celui qui refuse d’obtempérer, est passible de sanction, même en France, à voir la récente affaire de plainte contre une journaliste qui a refusé d’« affirmer » madame la Maire, première transsexuelle femme comme « femme ». Espérons que les juges optent pour un non-lieu, mais rien n’est moins sûr. Le discours trans s’est figé, faute de pouvoir faire la différence entre organe et signifiant. Le corps devient surface d’écriture, donnée à lire pour un lecteur sommé de reconnaître la signification « UNE » de ce qui se donne à voir. Cela s’appelle la « transaffirmation ». 


Ce qui est passé sous silence quand il est question des enfants dits « trans », c’est leur état dépressif, et, quand il est nommé, il est avancé comme ce qui justifierait l’intervention médicale. « Voulez-vous avoir une fille trans, ou un enfant mort ? » est proposé comme alternative aux parents déboussolés. Or, on a constaté qu’en effet, chez les enfants dysphoriques très jeunes ou, plus récemment, les adolescentes, les tendances suicidaires sont plus importantes que dans la population générale, mais que les interventions hormono-chirurgicales n’ont aucun effet sur ce phénomène dépressif ni sur les pensées ou actes suicidaires. Ce qui est largement passé sous silence, est l’ensemble des comorbidités. Le DSM a fait disparaître la psychose, a fait élargir le domaine des troubles de tous ordres, notamment les TSA, les TDAH. Il a chassé la psychose par la porte et elle rentre par la fenêtre et dans la pire des formes, l’automutilation, soutenue par l’institution médico-chirurgicale qui a donné congé à une psychiatrie digne de ce nom. Et au passage, il n’y a plus non plus de place pour les tourments des jeunes adolescentes, principales victimes actuelles des milieux transactivistes. Toutes les femmes ont connu ces années difficiles où leur corps a changé, où elles s’affublaient de gros pulls et de pantalons larges, où elles ont courbé leur dos pour cacher une poitrine qui les gênait. C’est même le propre de l’adolescence des filles. Aujourd’hui, dès les premiers signes de ce malaise, et grâce aux groupes de chat sur les réseaux, les filles sont entraînées dans le tourbillon trans. La médecine, qui a oublié le « primum non nocere » a retraduit la mammectomie en « torsoplastie » et, en France, opère des fillettes dès 14 ans. C’est une chirurgie dite esthétique, et, paradoxalement, remboursée. Cette forme d’automutilation montre bien la proximité, comme le souligne Nicole Athéa, avec l’anorexie. Tout sauf devenir femme. Une fois réveillées de ce cauchemar hystérique, après les mutilations hormonales et corporelles, le retour n’est plus possible pour elles. Et aucun dédommagement financier ne leur rendra ce qu’elles ont consenti à détruire, soutenues par des parents impuissants et des professionnels irresponsables.


Il n’y a plus personne, pour reprendre les phrases du début, pour dire non. Et ceux qui s’opposent ouvertement comme l’Observatoire de la Petite Sirène, se font traiter de fascistes. Des personnalités publiques comme Serge Hefez, signent des appels soutenant ce mouvement des transactivistes à qui tout pouvoir est donné pour manipuler les enfants, pour leur faire entendre que si les parents s’opposent à leur automutilation déléguée, c’est par absence d’amour, par transphobie. La forclusion incorpore en effet l’objet, fait sphère avec l’objet dénié. 


Cette confusion entre identification sexuelle, amour et interdit de l’inceste, assorti à l’affirmation qu’on n’est du sexe que par son auto-nomination, a littéralement nourri la nouvelle forme de psychopathologie qui entraîne les passages à l’acte sur le corps. Que dans tous les cas de figure, la question du rapport à la mère soit à poser, nul doute. Mais là encore, le sujet soulève des résistances majeures. Dans le film emblématique de « petite fille » de Lifschitz, la thèse est clairement exprimée et a été largement plébiscitée : la dysphorie est innée et le désir des parents n’intervient pas. Le prix à payer pour faire partie des groupes « trans » est la livre de chair et l’« affirmation » à la place de la nomination.


Marcel Czermak dit : « Dans le champ de la précarité imaginaire, la tentative de « guérison », pour parler comme Freud, là où Lacan parlait de métaphore délirante, de stabilisation, apparaît nettement la signification de la dite « métaphore » : avoir pour nom LaFemme, mais aussi L’Homme, ceux qui n’existent pas, pour être devenus Tout, Tout en Un, totalité unique, complétude sphérique de l’homme imaginaire primordial, celle ou celui à partir de qui tous se comptent, mais parmi lesquels ils ne peuvent se compter…..plein et vide, complétude sphérique, mort et pétrification, dont on relèvera les affinités avec le délire de négations de Cotard, ici formulé également sous forme de non-être je ne suis pas un homme ou une femme, je suis LaFemme, L’Homme. Non-être qui trouve son hypostase dans l’affirmation d’un être absolu…. » 



donner corps discursif à la mélancolie butlerienne


Il y a quelque chose de particulier au discours « trans » : Ce discours qui prône la fluidité est on ne peut plus rigide, toute interprétation est impossible. Par là même, ce phénomène rapproche donc ces discours de ceux des extrémismes religieux. Le livre de Butler déjà, en 1990, ne laisse pas beaucoup d’espace au doute. On peut même dire que par le traitement de « torsion » qu’elle applique à chaque concept emprunté aux Français, la French Theory est tout sauf française. C’est aussi proche qu’une baleine l’est d’un poisson. Il faut des chercheurs comme Éric Marty, pour faire soigneusement l’analyse des différences entre ces deux développements. Il l’a payé cher en se faisant accueillir par les transactivistes comme on peut l’imaginer, notamment à Genève, où il était invité à l’université pour présenter son livre, le « Sexe des Modernes ». Dès le départ, Butler situe la question du sexe biologique dans le registre du dogme, ce qui lui permet ensuite de décliner les variations sur le thème de l’auto-construction du genre. L’auto-nomination vient remplacer l’autonomie. C’est le parent pauvre, discursif, pour un individu condamné à la dépendance à vie du monde bio-médical.


Il ne s’agit plus d’être sujet, d’entrer en relation avec un autre, d’accepter une relation de désir. Les notions de dialogue, de dialectique des échanges avec un autre, ont disparu de ce paysage. Il s’agit de pure « affirmation » qui exige en réponse « l’affirmation de l’affirmation », pure réduplication. Dans ce contexte, une autre citation de Czermak s’impose : « S’adresser, c’est indiquer soi-même vers où l’on va. C’est s’indiquer par allusion. Ça indique quelque chose du sujet, mais ça n’indique rien du destinataire – pas même qu’il existe -, tandis que parler, parler vraiment, impose que l’allocutaire trouve un véritable interlocuteur. » C’est un monde sans altérité, sans dialogue possible. 


Exiger l’« affirmation » de la part de l’autre, c’est s’exclure de l’échange de parole, pour entrer dans le monde du psittacisme. L’interlocuteur est nié en tant qu’autre. Il devient par la répétition qui est attendue de lui, un deuxième allocutaire, perroquet. Exiger l’affirmation redoublée, c’est s’exclure soi-même de la pure différence. Le symbolique est aboli, il n’y a pas de subjectivité. Pas étonnant que la dimension dépressive soit si importante, chez ces jeunes, ou qu’elle soit masquée par une affirmation pseudo-maniaque. Admettre que le changement attendu n’est pas au rendez-vous est difficile. La chair réelle sacrifiée ne se récupère pas. Dire ouvertement le regret, c’est se soumettre aux foudres violentes de la nouvelle famille des trans. Les sectes n’aiment pas les renégats.


Qui plus est, le médecin qui « affirme » un jeune, par le fait même qu’il ne confirme pas l’autodiagnostic, mais qu’il répète ce qu’on lui « affirme » et par les signatures qu’il exige au titre du « consentement éclairé », cherche à mettre sa propre responsabilité à couvert par rapport à d’éventuels procès en cas de regret tardif. Le procès Keira Bell, regrettant amèrement d’avoir été si vite soumise au traitement de bloqueurs de puberté, a fait grand bruit en 2020 et a quelque peu délié les langues. Un peu plus tard, la Travistock Clinic, véritable usine à castration, a été fermée. Oui, affirmer un autre dans un tel contexte, c’est confirmer qu’il n’y a plus de sujet.


Tout cela au nom de la science et pour le bien de nos enfants. Non, nous ne devons pas nous taire !


Coda 


Lorsque l’enfant était enfant

Les myrtilles dans sa main n’étaient que des myrtilles

Et il en est toujours ainsi

Les noix fraîches lui faisaient la langue râpeuse

Et il en est toujours ainsi

Sitôt escaladé, tout sommet

Lui faisait désirer sommet toujours plus haut

Et toute ville, quelle qu’elle soit

Lui faisait désirer ville toujours plus grande

Et il en est toujours ainsi

La cerise au bout de la plus haute branche

C’est toujours pour lui la même exaltation

Sa peur de l’inconnu

Elle ne l’a pas quitté

Et son attente de la première neige

Est toujours son attente.


Lorsque l’enfant était enfant

Il lança un bâton contre l’arbre

Où aujourd’hui son javelot vibre encore.




Als das Kind Kind war,
fielen ihm die Beeren wie nur Beeren in die Hand
und jetzt immer noch,
machten ihm die frischen Walnüsse eine rauhe Zunge
und jetzt immer noch,
hatte es auf jedem Berg
die Sehnsucht nach dem immer höheren Berg,
und in jeder Stadt
die Sehnsucht nach der noch größeren Stadt,
und das ist immer noch so,
griff im Wipfel eines Baums nach den Kirschen in einem Hochgefühl
wie auch heute noch,
eine Scheu vor jedem Fremden
und hat sie immer noch,
wartete es auf den ersten Schnee,
und wartet so immer noch.

Als das Kind Kind war,
warf es einen Stock als Lanze gegen den Baum,
und sie zittert da heute noch.


Peter Handke traduit par Cyril Veken

 

Addendum recherches bibliographiques et discussions


Antoine Périer Etats du corps à l’adolescence, Erès, 2023 


p.164-171 : Développement d’un extrait d’une thérapie dans laquelle il a accepté d’appeler Alice du nom de Tim, abréviation de Thimothée, nom choisi par cette fille sous identité de garçon. On y lit un cheminement intéressant dans lequel il n’est pas question pour le thérapeute de douter du « vrai » de cette nouvelle identité. La jeune fille ne s’était pas engagée dans la transition autrement que sous forme de nouvelle nomination. En tant que Tim, elle tombe amoureuse d’un garçon. Parle du trouble de cet événement pour elle. Elle/il se met à rêver : un espace s’ouvre aux formations de l’inconscient. On sent qu’il y a une possibilité de mobilisation qui lui permettrait peut-être de faire machine arrière.



Safouan Moustapha

Etudes sur l’Œdipe, Seuil


chap VI psychanalyse et transsexualisme


75 travail sur un livre de Stoller (1968) à propos de trois enfants transsexuels. S note deux positions maternelles sur 2 générations. Il s’agit de garçons très jeunes qui ont manifesté selon leurs mères très tôt un penchant vers le féminin. Cela se manifestait avant tout par les déguisements et l’imitation des manières féminines. Elles les y encourageaient plutôt, trouvant cela « mignon ». Les parents de ces enfants pensaient qu’il s’agissait d’une disposition biologique.


76 c’est une personne étrangère à la famille qui les avait poussés à consulter pour déviation par rapport à la normalité.


Définition du transsexuel : croyance fixe d’appartenir à l’autre sexe et demande de correction sur le corps en conséquence.


définition travesti : il y a exigence du phallus. Il ne faut pas qu’il manque. 


le transsexuel ne se réfère pas à l’universel mais au général


Différence universel et général :


universel : fait référence à la Loi, donc au phallus, loi qui humanise

général : fait référence à ce qui « s’arrange », p ex les coutumes


En effet, la question du phallus est universelle au sens qu’elle soumet homme et femme au manque, en fonction de leur sexe. Les enfants mâles transsexuels refusent le phallus et estiment qu’il y a erreur à les considérer comme garçons. Le travesti impose au réel la forme de son fantasme et à ce titre imaginarise le réel, d’où le côté « jeu » de ses manèges. Le transsexuel réalise l’imaginaire comme atteste sa demande.


77 le travesti légifère au gré de son désir ou de ce que ce désir entraîne comme angoisse de castration et au mépris de la classification commune. Le transsexuel accepte apparemment cette dernière mais conteste seulement la place qu’elle lui assigne.


Les mères de ces trois garçons se ressemblent : une façon d’exprimer leur bisexualité, féminines mais à la manière garçonnière. Elles ont conscience d’être sexuellement neutres, sous une façade féminine. Tonalité dépressive. Dans les entretiens avec ces mères, on découvre rapidement une dépression sévère. Toutes les trois affirment que dans leur enfance, elles souhaitaient être des garçons.


78 elles ont aussi comme trait commun un profond sentiment de vide et d’incomplétude… chacune a le sentiment de ne pas savoir ce qu’elle est, mais présume qu’elle n’a aucune valeur…incomplétude presque anatomiquement vécue.. absence quasi totale de désir. « Des femmes qui vivent comme hypnotisées par le col invisible de l’image virtuelle du vase (cf le schéma de Bouasse, travaillé par Lacan en rapport avec le stade du miroir)…c’est en vain qu’elles s’épuisent avec leur vernis social et leur façon de s’habiller, à ramener sur elles-mêmes l’image de ce phallus qui reste leur maître, le seul qu’elles essaient vraiment de tenter.  Nous nous situons dans une région bien au-delà de l’envie du pénis….il ne s’agit plus pour elles de sauver le peu de désir, se manifestant parfois dans des élans homosexuels très épisodiques…ce peu, elles ont fini par s’en passer. Nul n’est phallophore à leurs yeux. Mais avec l’image de son corps propre, chacune essaie d’occuper elle-même cette place du phallus, càd ce dont son image fait apparaître le manque : mirage où chacune cependant se reflète.


79 pères presque complètement absents, physiquement absents, absence « dynamique, vivante, et tantalisante »…quand leurs fils se sont mis à s’habiller « en sens inverse » aucun de ces hommes ne s’en est ému outre mesure….ils laissent non seulement leurs femmes « efféminer » leurs fils à leur guise, mais ils poussent fort subtilement ces derniers sur le chemin du retour au giron maternel.


80 il n’y a strictement rien qui soit de nature à permettre à ces trois garçons d’intégrer dans un ordre symbolique la présence muette et quasi fantomatique de leurs pères. Même si ces hommes peuvent « pénétrer dans la vie nocturne » à leur retour à la maison, cela n’est vécu que comme intrusion dans leur champ perceptif immergé dans la relation duelle avec leur mère. Cela ne les incite pas à vouloir leur ressembler. Par cette clôture, cette symbiose, elles ôtent à ces enfants l’appui du signifiant même autour duquel devrait se faire pour chacun d’eux l’assomption de leur propre sexe.


81 le processus dynamique est une identification excessive à leur mère due à l’incapacité de ces dernières à permettre à leurs fils de se séparer de leur corps….dans leur façon de parler de leur fils elles s’expriment comme si elles faisaient une entité indistincte avec lui. Tout est placé sous le signe du « nous ».


82 ce que l’enfant transsexuel éprouve se limite sans doute à une sensation constante de plaisir ou d’absence de tension, ce qui rend pour lui superflue la nécessité de saisir la frontière entre son corps et le corps maternel.


84 la différence entre transsexuel et névrosé est que l’un veut se débarrasser du pénis alors que l’autre veut le garder. Le transsexuel ne joue pas à la femme, il en est une…et le seul autre qu’il reconnaisse est celui qu’il connaît, et qui est l’autre de la demande sans l’au-delà du désir obscur, sa mère tout d’abord, puis avec le développement de son appréhension de la réalité sociale, le chirurgien auquel il adresse la même demande, celle de corriger son corps….la différence entre transsexuel et névrosé concerne donc l’appréhension de l’Autre.


85 ces enfants sont donc qu’une extension de leur mère…enveloppés par la Providence, et non sans être cette providence elle-même de par la force assimilante et dissimulante à la fois de toute identification imaginaire. La note de fascination contemplative, caractéristique de cette identification, ne pouvait pas manquer au tableau, ces enfants ne quittaient pas leurs mères du regard….cette identification n’explique pas la conviction que nous n’hésitons pas à qualifier de « délirante » d’être une femme


86 il n’y a pas eu de parole qui ait ouvert une brèche qui donne sur un objet qui n’a rien de visible….l’objet du désir.


86 leur désir se traduit par toutes les pores et est parfaitement lisible, ne serait-ce que par le prénom que ces mères donnent à leur fils ; prénoms mixtes ou à résonances héroïques ou exotiques…tout l’éclat phallique, elles l’ont pourtant trouvé dans un objet bien réel : le pénis de leur fils….il ne saurait être le phallus de sa mère qu’à condition de s’exclure de la gent masculine….là où le névrosé sacrifie à l’occasion son désir pour sauvegarder son phallus, le transsexuel est obligé de se débarrasser de son phallus…


88 … pour faire place nette à son désir….c’est précisément pour être à même de rechercher un tel objet, qu’il réclame le sacrifice de son pénis. …l’aliénation constitutive du désir humain comme désir de l’Autre, cette aliénation, ou si on préfère, cette servitude, est telle que là où le réel semble compact, sans brèche, un trou pourtant s’introduit bon gré malgré, un trou autrement plus coûteux que ceux que l’enfant joue à creuser dans le sable de la plage, et où le philosophe aimerait voir une manifestation de la négativité de l’esprit humain et de sa liberté. Cette semblance, cette plénitude du réel, cette tromperie réussie de symbiose n’aura pas été sans entraîner une forclusion du nom du père.


89 ces enfants se sont parfaitement moulés dans les demandes, déjà socialisées et socialisantes de leur mère. L’important est que pour eux, il n’existe pas d’au-delà de la demande…cet au-delà, ce sont eux-mêmes qui l’occupent. Ils n’ont rencontré dans leur existence qu’un caprice, qui, tout en s’exerçant sur eux sans frein, leur était asservi et ne se dirigeait vers rien en-dehors d’eux. Ces enfants savaient certes distinguer entre les hommes et les femmes et s’identifiaient avec les premiers, ne serait-ce que pour récuser cette identification même ; mais justement tout se passait pour eux comme s’il n’y avait que des images masculines et féminines….leurs pères étaient absents comme tenants d’une position symboliquement différente, malgré la ressemblance imaginaire…c’est le manque lui-même, ou l’au-delà de la demande qui fait défaut à leur fils…ces garçons ne demandent pas à être le phallus, ils demandent de ne pas l’être ; alors que le névrosé, lui, ne se contente pas d’être un homme, il veut encore être un vrai homme….la castration forclose chez ces garçons comme castration symbolique, apparaît comme castration réelle que les transsexuels réclament avec passion…châtrés, ils sont…les seules vraies femmes.


92-96 (résumé) l’une des mères qui a commencé une analyse avec Stoller, relate « le vide qu’elle a reçu de sa propre mère »….dans sa famille, les hommes étaient considérés comme supérieurs aux femmes…elle préférait être « rien »….cette même patiente fait état de son attirance pour les étoffes, leur contact (cf Clérambault). Selon Stoller, c’était pour elle comme un objet transitionnel. Fantasmes d’être nonne, en anglais « nun », proche de « none ». Toute la relation entre la mère et la grand-mère est décrite comme source de grande difficulté d’identification pour la mère durant toute son enfance et adolescence. L’apparition des premières règles est vécue comme un événement traumatique, mettant fin à ses espoirs de devenir homme. La rivalité avec son propre père liée à un ressentiment contre lui de lui préférer la sœur puînée s’accentue durant l’adolescence, l’amenant à quitter la maison très jeune, pour ne revoir le père que rarement. Pour elle, c’était lui ou elle, la patiente. Ne pas être l’homme, mais être le phallus, telle était son destin. Être le porte-manteau de la féminité à travers le vêtement était sa solution de sortie ainsi que le choix d’un homme sans importance. Amener son fils jusqu’à la castration, voilà l’effet. 



Marcel Czermak, Erès, 2018

Patronymies


Transsexualisme 


45 notre époque donne de plus en plus d’importance à l’imaginaire. Cela un impact sur le rapport que l’homme a au sexe et à Loi. Car de la Loi comme du sexe, nous sommes sujets.


46 chez le transsexuel, la conviction d’être né dans le mauvais corps est présente ordinairement dès le plus jeune âge. Le transsexuel rejette souvent l’homosexualité comme obscène


47 l’homosexuel sur le versant pervers, ainsi que le fétichiste et le transvestiste, donne au phallus sa plus grande importance, de ce phallus, chacun, homme et femme est positivement possesseur. Déni de la castration maternelle.


48 la visée du transvestiste est de parvenir à la jouissance par le biais de l’angoisse provoquée chez le parlêtre, par la révélation du phallus …c’est l’instant où le voile se déchire par l’écartement du pan de l’imperméable ou du retroussement de la robe féminine.


49 Pour le transsexuel, la question est différente : il pose la question des limites mêmes de la sexuation. Le « choix » de la sexuation, pour le transsexuel n’est pas permis….Ce qui fait la loi du genre humain est pour lui inaccessible : la loi symbolique lui est forclose et ce n’est pas d’un déni du phallus qu’il s’agit, mais d’une Verwerfung…pour s’en arranger, il règle son compte à l’organe


50 l’erreur du transsexuel, dit Lacan, est de prendre l’organe pour un signifiant….Le transsexuel, a-t-il en effet la conviction d’appartenir à l’autre sexe ? Pas vraiment à moins de l’écrire l’« Autre sexe »….C’est le propre du phénomène transsexuel d’être quelque chose qui s’impose, qui concerne le plus intime de son être, qui ne laisse aucune latitude, ni possible choix, à l’instar des manifestations hallucinatoires


51 cela nécessite une remise en ordre imaginaire du corps…pour le transsexuel mâle, devenir LaFemme, la vraie…ayant enfin trouvé l’Unité, cela ferait advenir une nouvelle lignée, affranchie de toutes les contingences….faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère, il ne lui reste que la solution d’être LaFemme qui manque aux hommes.


52 la métaphore délirante par laquelle l’imaginaire vient tenter de pallier le défaut radical du symbolique est par définition marquée par l’instabilité. Il faut donc que ce travail – destiné à le faire s’accomplir enfin comme UN – soit poursuivi sans relâche, sous peine de voir se déchaîner de nouveau les manifestations diverses qui ont, par exemple, marqué l’entrée dans la psychose.


53 Les demandes de chirurgie sont à mettre sous le titre de ce que Freud appelait les manifestations hypocondriaques présentes dans toute psychose


54 « je suis un homme, point c’est tout », dit cette transsexuelle. Le « tout signe l’absence de dialectique possible par la revendication d’une totalité « totalitaire »…il s’agit donc pour elle de devenir le Tout-Phallus…ils sont souvent poussés par quelque membre bienveillant de leur entourage


55 le 11/12/1992, la Cour de Cassation a changé le principe de l’intangibilité de l’état de la personne….elle a répondu au délire en y participant…chacun peut donc disposer du réel de son corps, à sa guise, comme fétiche en somme.


56 c’est une demande sans au-delà, pétrifiée, adressée à un médecin posé comme non barré, tout puissant..haine du corps propre en tant que son image recèle un objet dont la brillance phallique pourrait faire du sujet la cause d’un désir dont il récuse absolument tant en être visé que d’avoir à l’exercer…


57 c’est au moment de cette forclusion que surgit l’idée de la beauté comme assignation de la femme et de son vêtement…femme ramenée à son enveloppe…beauté inondante, irradiante, qui se propose au moment où le sujet mort, cadavérisé, les yeux crevés, n’a plus de lieu d’où se voir puisqu’il est devenu le lieu de l’universel intérêt, comme celui de l’universel déchet ….Surface de beauté donc, qui se retourne en cet objet que Lacan qualifiait d’objet a. Le « salope, vache, putain » cher à Henri Ey, mais aussi « Vierge Marie »


58 regard de l’Autre qui ne lui retourne pas son message sous forme inversée, mais sous forme directe et où il tâchera sans relâche sa consistance imaginaire….on remarquera en parallèle, la note fréquente d’obscénité et de carence de pudeur, d’exhibitionnisme appelant le voyeurisme lié à tout au-delà de la parole…c’est du pur semblant….complétude sphérique de l’homme imaginaire primordial…par défaut de castration symbolique, de division par le langage - la castration réelle leur fait retour sous la forme d’une exigence qui les agit…cette femme, cet homme, est une pure nomination dont la signification échappe au sujet…


59…Mais il nous en donne les traits significatifs : plein et vide, complétude sphérique, mort et pétrification, dont on relèvera les affinités avec le délire des négations de Cotard, ici formulé également sous forme de non-être : je ne suis pas un homme ou une femme puisque je suis LaFemme, L’Homme. Non-être qui trouve son hypostase dans l’affirmation d’un être absolu….une quête de reconnaissance impossible par carence identificatoire, soit une absence d’installation dans l’ordre des générations… cette vraie femme qui récuse en chaque femme sa féminité, sa division et son embarras, s’en fera dès lors l’avocat, le héraut, là-même où aucune femme ne peut se reconnaître ni s’identifier sauf à flotter elle-même quant à….


60 … ce qui dans l’ordre des identifications ne doit rien à  la démocratie, aux droits d l’homme, mais tout à l’ordre impératif des signifiants et à sa logique. Ainsi se transforme le vrai du signifiant en folie partagée par disparition de la disparité subjective des places….cette exigence est celle d’un sujet sans résidu subjectif, transparent à lui-même et aux autres, malgré, et par, le déguisement qu’il est devenu….forclusion de l’Autre, rejeté du circuit…plus de lieu de la parole où le sujet s’adresse, car ce lieu, c’est lui qui l’est devenu. Il dicte sa clinique et sa thérapeutique, essentiellement langagière : être nommé à la place qui n’existe pas, sauf à être divin….absence claire de fantasme, sujet non divisé qui a enfin trouvé le bon objet, celui du nom pour lequel il se prend dès lors, après avoir forclos l’instance phallique à qui nous devons nos manques qui nous mettent en tension… La disparition du poinçon $<>a réduit le sujet à la pure surface close qu’il est devenu, jouissant de cette étrange jouissance que Lacan appelle Autre …parallèlement d’être advenu à la place d’un Autre réel, le sujet plein s’y fragmente en alter ego pullulants : enfants imaginaires, grouillement de partenaires…


61 il s’agit également de briser la discontinuité du rêve et du réveil : je ne sais plus si je rêve ou si c’est réel, c’est pareil….le sujet n’a alors qu’à faire à des doubles permanents et démultipliés ….de $<>a on est passé à i(a) ; actualité d’une image qui enveloppe ses objets pour éventuellement s’équivaloir ou s’inverser en objet qui contient toutes les images de la « féminité »….nous sommes dès lors dans un délire, réduit certes, mais délire cependant dont i(a) comme matrice générale de nombre de psychoses rend aisément compte, délire qui récusant le malentendu propre à l’ordre du langage, porte à exiger qu’aucun écart ne sépare l’un de l’Autre mais faisant que l’un et  l’Autre faisant ce UN cher à Parménide, le transsexuel est de tous les psychotiques le plus parménidien.


62 quand le corps est châtré c’est ce corps entier qui est phallicisé…..comment ne pas s’interroger sur la fonction du partenaire, serait-il médecin ou juge ?


63 la science prise pour phallus dans sa marche triomphante, càd comme fétiche éventuel, fait alors passer une demande comme besoin absolu


64 Nous assistons alors à une régression de la clinique et de la nosographie


65 les psychothérapies préalables au traitement médical des transsexuels sont reçues comme des promesses par ceux qui s’y prêtent et ne font que normer et épurer le trouble….démission qui ouvre la voie à une fausse complaisance pour le bénéficiaire des mêmes effets qu’une vraie…les autorités scientifiques et médicales  sont ici l’otage d’un pacte de carence. … notre médecine est soulagée de sa parole a profit des valeurs du marché enrobées du papier de soie du style compassionnel



Discussion après l’exposé à Sète, le 1/04/23


Je remercie Jean-Louis Doucet-Carrière de m’avoir rendu attentive au subtil rapprochement de cet effondrement propre à la problématique trans du fantasme $<>a au profit de l’objet spéculaire i(a) avec la théorisation de Freud concernant le jugement d’attribution et du jugement d’existence. Il a rappelé que Freud, dans l’article sur la négation a apporté cette précision épistémologique majeure : « La fonction de jugement a principalement deux décisions à prendre. Elle doit attribuer ou dénier une qualité à un objet, et elle doit affirmer ou refuser l’existence dans la réalité à une représentation. » (trad EMG) Le statut du jugement d’attribution et du jugement d’existence sont énoncés par Freud clairement comme deux étapes de la pensée, celle d’une première discrimination et celle d’une acceptation de la dimension signifiante, permettant à une représentation d’être évoquée sans que l’objet doive être présent. C’est cette deuxième dimension qui est récusée dans la tragédie trans, restée rivée à l’image articulée au réel. C’est cela qui entraîne l’attaque de l’objet dans le réel du corps.


Un deuxième point a été longuement développé et qui touche aux deux étapes indispensables de la pensée : le stade du miroir et le temps logique, développées par Lacan. En effet, le stade du miroir produit cette découverte de la possibilité de nommer ce qui est vu, d’articuler image, nom et parole entendue : l’enfant dans les bras de la mère, devant le miroir, se retourne sur sa mère, découvre par déduction logique que s’il voit le visage de la mère une fois dans la réalité à côté de lui et une fois dans le miroir devant lui, que le deuxième visage, à côté de celui de sa mère dans le miroir, doit être le sien, dont la vision dans la réalité lui échappe. Ce n’est que là, par l’étonnement qu’il exprime, que vient la parole de la mère : « oui, c’est bien ton visage, c’est toi », confirmant l’existence de cette découverte et déclenchant la jubilation dont parle Lacan. C’est la découverte de ce fameux i(a). 


Le temps logique a été évoqué plus tardivement dans la discussion, lorsqu’il a été question de la prise en charge des jeunes trans. Comme l’a déjà souligné Czermak, dans le véritable transsexualisme, la psychothérapie ne sert au patient qu’à obtenir confirmation sur le chemin de sa transformation, ce qu’on appelle aujourd’hui la « transaffirmation ». Dans la nouvelle clinique « trans » concernant essentiellement les adolescentes, les choses se présentent différemment. Comme l’a bien montré l’article de Périer, et comme l’ont confirmé certains intervenants dans la discussion, au fait de ces phénomènes dans leur pratique quotidienne, l’échange avec ces jeunes déclenche dans le transfert des moments de trouble à l’occasion de lapsus notamment concernant les pronoms, qui sont autant d’ouvertures sur un possible accès aux formations de l’inconscient. Accepter de nommer une jeune fille du nom de garçon qu’elle a choisi, comme le montre Périer, équivaut à cette supposition logique dont parle Lacan dans son article sur « les temps logiques » dans les Ecrits. Dans l’apologue qui lui sert d’exemple, une hypothèse fausse a entraîné une issue juste, par raisonnement logique. C’est l’acceptation de ce que la jeune fille affirmait qui a permis l’ouverture à la parole, au trouble et aux rêves. Accepter le trouble n’équivaut pas à l’« affirmer ». « Dans la psychose, nous rappelle JLDoucet-Carrière, il importe de croire le patient par rapport à ce qu’il dit de son délire, mais de ne pas y croire. » La raideur de l’indignation face à l’affirmation du genre est aussi nocive dans l’échange avec une personne trans que le délire partagé, dans le cas précis, hélas, souvent partagé à trois, personne trans, parent, monde médical. Cette « autre clinique, ou clinique Autre » est encore à inventer et nous confrontera sans aucun doute à la férocité des activistes.






Intervenants

Interventions

 ACF-VD
Jean-Claude Affre
Dr Marie  Allione
Claude Allione
Bernard Baas
Dr Arielle Bourrely
Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Lionel Buonomo
Pr Jean-Daniel Causse
Philosophe Jean-Louis Cianni
Jomy Cuadrado
Dr Marie-José Del Volgo
Guilhem  Dezeuze
Dr Jean-louis Doucet
Laurent Dumoulin
Dr Jean-Richard Freymann
Eva-Marie  Golder
Professeur Roland Gori
Jean-Paul Guillemoles
Bernard Guiter
Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Patrick  Landman
Dr Michel Leca
Gérard Mallassagne
Dr Augustin  Ménard
Professeur Michel  Miaille
Dr François  Morel
Daniel Nigoul
René  Odde
Aloïse Philippe
Professeur Gérard  Pommier
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr Jean Reboul
Dr Marie-Laure Roman
Franck Saintrapt
Professeur Bernard Salignon
Rajaa Stitou
Dr Bernard Vandermersch
Dr Marcel Ventura