28 01 2023 JC AFFRE Le tragique, l'Oedipe, l'au-delà de l'Oedipe
La tragédie, l Œdipe et son au-delà.
Au commencement est la Faute du Père : Laïos avait séduit et fait son amant de Chrysippe, le fils du roi Pélops, qui l' avait accueilli chez lui. Laïos, étant l’hôte, il avait dérogé aux règles de l’honneur. Héra, déesse du mariage, avait jeté une malédiction sur toute la lignée des Labdacides et Apollon condamna Laïos : « si tu as un fils, il te tuera et il épousera sa mère ». C’est ce que lui prédit la Pythie de Delphes ; mais après une nuit d’ivresse, Laïos oublia le verdict divin et procréa avec Jocaste un fils du nom d’Oedipe. On connaît la suite de ce récit ! Œdipe, malgré lui, réalisera la prophétie, sans en être vraiment coupable ; du moins sans le savoir ; sans savoir qu’il s’agissait et de son père et de sa mère. Œdipe, c’est celui qui ne sait pas, à la différence d’Hamlet qui lui sait la vérité que le fantôme de son père lui a révélée. Les deux tragédies sont à rapprocher selon Freud. Elles concernent le père et plus exactement le parricide au cœur du Sujet. C’est la question et la place du père qui sont d’emblée interrogées, là. On sait que, dans ce que Freud a articulé sous le terme de « complexe d’Œdipe », il s’agit d’un père œdipien, à tuer dans le désir inconscient du fils, mais que ce désir n’est pas sans réveiller la Culpabilité et le réveil du Surmoi obscène et féroce qui réclame ce qui, de la dette, reste en partie impayé.
Mais du côté du père : « l’héritage du père, c’est celui que nous désigne Kierkegaard, c’est son péché » dit Lacan (séminaire XI p35). La tragédie de Sophocle part de cette Faute qui dérègle le bel ordonnancement du Monde et des lois de la Cité et fait basculer le héros tragique dans un Destin implacable. Il en est de même dans la tragédie d’Hamlet où le père meurt, dit Shakespeare, « dans la fleur de ses péchés ». Il s’agit, ici aussi, pour le fils, de renouer avec la place occupée par le péché non payé de l’Autre paternel. Dans le mythe, la faute est d’origine, de structure, et le ratage s’en déduit logiquement et constitue le déroulé même de la pièce. Œdipe ne peut même pas faire le reproche à son père de l’avoir si mal foutu avec ses pieds troués et enflés. La rencontre n’aura pas lieu entre le père et le fils, si ce n’est lors de l’affrontement mortel aux croisées des trois chemins, nous dit Sophocle. Pour Hamlet, on connait la procrastination du sujet à venger l’honneur et le meurtre de son père, qui lui a dit avoir été surpris par la mort pendant son sommeil.
Mais qu’est ce que la Tragédie ? Pour Sophocle, et les Tragiques grecs, c’est le destin funeste d’un héros, destin qui implique la Mort comme but ultime du scénario, sans lequel le récit serait de peu d’intérêt. Toute tragédie nécessite aussi une intervention d’une Transcendance (les dieux de l’Olympe, le «ghost», le fantôme du père d’ Hamlet) pour incarner ce qui du Réel est en jeu dans l’histoire évoquée. Le Réel sous-jacent se laisse ainsi percevoir sous le masque de la Réalité. Le mythe est au plus près du Réel (c’est son étymologie). La tragédie fait ainsi sortir du banal ; les dieux y sont conviés et en partie responsables de l’action. Le sujet est décrit comme captif d’un « Fatum » qui le détermine et dont il ne peut échapper même en consultant les oracles, qui l’informent. Il y a un ressort essentiel dans la tragédie qui est cet impossible à éviter ce qui doit advenir, ce qui est écrit quelque part. Hölderlin, dans ses « remarques sur l’Oedipe », soutient que l’essence de la Tragédie est tragédie du défaut des dieux, tragédie du détournement du divin. Le héros est abandonné à sa solitude et il y aurait aussi «le comble du monstrueux, l’accouplement entre dieux et humains, ce qui contribue à une confusion du Fini et de l’Infini ``. Ce qui, du monde grec, où tout est à sa place, se trouve du coup chamboulé. Pour Nietzsche, dans « la naissance de la tragédie », l’essence du Tragique, à propos de l’Œdipe, réside dans l’inceste, « monstrueuse transgression de la Nature », crime que rien ne peut racheter. Les dieux punissent et le héros se montre impuissant à déjouer le Destin dont il est le jouet. On pourrait dire que l’être parlant est d’abord parlé : la tragédie de Sophocle est la mise en scène de ce qui, dans le réel, a été parlé, avant la venue au monde du héros. A la différence, est le drame qui propose une situation grave dont la mort n’est pas forcément l’issue ; le drame évoque davantage une « Tuché », une mauvaise rencontre, la rencontre avec un Réel qui surgit incidemment. Le tragique est, plutôt, une « hystoire » qui voile et découvre en même temps ce Réel comme impossible, pour tenter d’en faire un Possible renvoyant à la Réalité. Ce réel en jeu a pour nom chez Freud : le complexe de castration. Freud avait même évoqué (1921) une possible incidence du Destin, une « contrainte de destin », avec une compulsion de répétition, plus originelle que le principe de plaisir et recouvrant la pulsion de mort. Il prend comme exemples des situations de vie où se répète le même évènement douloureux, avec un choix inconscient, répété, de conjoints qui deviennent malades et meurent (PUF œuvres complètes XV p 294). Dans la philosophie moderne c’est l’existence elle-même qui devient tragique, renvoyant à un non-sens radical, à une absurdité de la vie (cf. Camus : l’étranger ou bien Becket : en attendant Godot). L’existentialisme, comme la psychanalyse, promeut une vie avec un hors sens à priori. Le sens de la vie apparaîtrait alors au fil du déroulement de l’ex-sistence, sous la forme de contingences que nous interprétons et auxquelles nous donnons sens. Nous faisons « des hasards qui nous poussent destin » dit Lacan (séminaire XXIII p 163). Nous faisons trame destinale de ces contingences rencontrées. (Nous construisons ainsi l’historique de nos névroses à partir de souvenir-écran qui ne sont que des reconstructions dans l’après-coup) De la contingence nous faisons Nécessité pour créer nos mythes personnels. Or, Lacan nous a appris que si le hasard relève de l’UN, le Destin est de l’Autre. L’UN , c’est le S1, le signifiant tout seul, une lettre, un signe, hors de l’articulation signifiante, hors sens et hors contexte de signification ; l’Autre c’est le langage articulé, c’est l’inconscient structuré comme un langage. Croire au Destin c’est croire à un grand Autre non barré, destinataire de nos messages et qui est présentifié avec l’image de Dieu ; c’est croire à l’Autre qui n’existe pas, dit Lacan. Il ira même jusqu’à dire, dans le séminaire VI, que « le grand secret de la psychanalyse c' est qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre » p353. Pas de métalangage, donc pas de vrai sur le vrai, pas de Dieu sur Terre (les dieux sont dans le Réel ; dit-il). L’Autre est barré, il est manquant et inconsistant. Dès lors, le signifiant du Nom-du-Père, résumant l’Œdipe freudien, viendra suppléer à cet Autre incomplet, à l’Autre qui n’existe pas. Lacan le formulera, lors de la séance du 15-4-1975 du séminaire RSI : « je n’appelle pas ça le complexe d’Œdipe… j’appelle ça le Nom du Père. Ce qui ne veut rien dire que le père comme Nom… non seulement le père comme nom mais le père comme nommant » Le NdP, c’est ce qui masque, en tant que semblant, le trou de structure dans l’Autre (Signifiant de l’Autre barré : signifiant du manque dans l’Autre (S (A barré)). Le NdP s’avérera, par la suite, n’être qu’un trou qui cache un trou, finalement. L’Oedipe, a contrario, c’est faire destin, ontologiquement parlant, des contingences ramenées à cet Autre qui sait à l’avance, qui est complet et existe donc, hors Réalité (grand A non barré). Ainsi le mythe œdipien donne une forme épique à la structure et en même temps la voile. Lacan rajoutera que le complexe d’œdipe est un mythe et le complexe de castration « à proprement parler la structure » soit ce qui de la concaténation signifiante nous détermine comme sujet (dialectique du désir et subversion du sujet -Écrits p 820).
Freud s’est intéressé, très tôt, à ce mythe pour en faire un véritable complexe nodal, son « complexe d’Œdipe », soit un Universel rendant compte de l’inconscient et de la névrose (lettre à Fliess 15 -10-1897 in « la naissance de la Psychanalyse » ) Ce qui a intéressé particulièrement Freud c’est cette structure qui place le père en position d’Autre, représentant de la Loi, et faisant de la Mère un objet interdit. L ‘Œdipe est le garant de l’interdit de l’inceste, clef de voute de l’organisation sociétale et culturelle, dit-il (avec donc, un Père en position tierce, interdicteur, séparant le couple formé par l’enfant et la mère ) C’est ce Père interdicteur et castrateur symboliquement que réclame jusqu’à plus soif le petit Hans. Il réclame un Père-sévère permettant la castration symbolique portant sur son pénis imaginaire. Plus fondamentalement, il tente d’ériger ce Père comme phallophore, porteur du Phallus (symbole du Manque d’où va découler la possibilité de la différence sexuelle et de l’identification) Lacan, dans son premier enseignement, avait repris, après la métaphore paternelle, puis avec le Nom-du Père, cette figure d’un Autre de la Loi présent dans l’Autre comme lieu des signifiants. « Le nom du père c’est le signifiant qui dans l’Autre en tant que lieu des signifiants est le signifiant de l’Autre comme lieu de la Loi » ( cf. la question préliminaire à tout traitement possible de la psychose in les Écrits) Il en est venu, par la suite, à reconsidérer l’Œdipe freudien ( la réalité psychique ), comme un quatrième rond faisant tenir, dans une topologie borroméenne, les ronds du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel, pour signifier que, chez Freud, toute la théorie de l’Œdipe est centrale et se conjoint à l’interprétation qu’elle sous-tend, et qu’elle détermine le nouage de la structure même du Sujet.
On peut formuler, à partir de là, cette question : comment FREUD analyse t -il avec l’Œdipe ? Reprenons, alors le rêve célèbre de Freud, du « père mort et qui ne le savait pas ». Le fils fait ce rêve que rapporte Freud dans la « science des rêves ». L’interprétation qu’il en donne se réfère au complexe d’Œdipe : Freud rajoute « selon son vœu », comme signifiant refoulé, selon le vœu du fils : là serait le désir inconscient, le « Wùnsch » du fils- rival, avec ce désir ignoré par le père. Il ne savait pas, le père, qu’il était mort selon le vœu du fils. C’est une interprétation œdipienne en ce sens que le désir du rêve a un objet repérable, à savoir le souhait de mort, la mort inconsciemment souhaitée du père. Freud fait du désir (wunsch : le vœu ) quelque chose qui a un but, un objet ( ob-jet , étymologiquement: ce qui est jeté devant ) lequel vœu vise une concrétude. Pour Lacan, on le sait, le désir n’a pas d’objet précis; plus exactement l’objet du désir est évanescent et situé en avant même du désir lui-même; c’est l’objet cause de désir (l’objet a) Ce qui est visé par le désir n’est qu’un leurre, un objet imaginaire (petit phi) Le désir pour Lacan est métonymique; d’abord métonymie du manque-à-être et il vise le Rien ; en cela il est non œdipien. Par la suite, Lacan développera la thèse du désir défini comme pur effet du signifiant, comme signifié glissant tel un furet sous la barre des signifiants. On peut soutenir qu’avec l’Œdipe le désir se limitait à une théorie infantile du désir: meurtre du père et jouissance de la mère. Pour Lacan le désir se régule et s’articule dans le cadre du fantasme (sujet barré poinçon de petit a ) : soit le rapport du sujet, substance supposé ( l’hypokeimenon d’Aristote ) à l’objet petit a; et il posera le désir comme ayant un objet déclencheur, en arrière, et non un objet cible, en avant. C’est le désir articulé au fantasme, où le désir est son interprétation.
Lacan revisite l’Œdipe, dans le séminaire VI, et, à propos de ce rêve du père mort, il propose quelque chose de plus profond que le vœu de mort du père: « l’impossible d’échapper à la concaténation de l’existence en tant qu’elle est par nature déterminée par le signifiant » p 118 ; l’Œdipe masquant alors la chaîne signifiante, l’aliénation au champ du langage. La parole qui rapporte ce rêve en séance est autre chose que l’énoncé du rêve lui-même dit Lacan (p 114) Ce rêve est en rapport avec l’existence : la douleur du rêveur est proche de la douleur d’exister. Il sait, le sujet, quel est son vœu : son vœu de mort du père cache son vœu de mort à lui, le rêveur ! Ce vœu dissimule le « il vaut mieux ne pas être né ». Ce que formule Œdipe, découvrant sa véritable identité, avant de se crever les yeux, avec son célèbre : « plutôt ne pas être né » ! Douleur d’exister dans cette stupide et ineffable existence; douleur d’exister qui est attribuée à l’autre et qui masque, dit Lacan, comme le dernier mystère : la castration du père qui, à sa mort, fait retour sur le sujet lui-même. Au moment de la disparition du père c’est la castration qui fait retour sur le fils « c’est ce qu’il ne faut à aucun prix voir » séminaire VI p 117. Ainsi l’Oedipe cache ce qui fait horreur phobique à savoir le complexe de castration freudien et la structure signifiante pour Lacan. C’est, au plus fondamental, dans la structure même du désir, vouloir échapper à la concaténation signifiante qui porte l’existence en tant que déterminée par le signifiant. C’est la mort que porte l’existence et aussi la mort qui porte l’existence. L’Œdipe, conclut Lacan, masque l’aliénation signifiante qui nous détermine et nous fait sujet ( subjectum : jeté sous la barre des signifiants ) Le drame de Sophocle voile ainsi la structure propre du sujet; c’est la fonction du mythe. Le théâtre grec est d’ailleurs fait pour être une représentation adressée à un public et visant une catharsis collective
Reprenons cet Oedipe-roi, celui qui précède Œdipe à Colonne. Le premier se présente comme un véritable conte de fée, avec un héros tout puissant, d’abord glorieux puis dévasté par le malheur. Jocaste, sa mère, lui est offerte, tel un trophée, pour sa victoire libérant Thèbes du Sphinx. Elle ne reconnaît pas son fils dans cet amant qu’on lui donne et la question de son désir à elle à propos de ce nouveau roi, jeté dans son lit et remplaçant son défunt mari, ne se pose à aucun moment. Ce n’est qu’au dénouement final qu’elle évoque que, dans les rêves, l’inceste vers la mère est un thème récurrent. C’est elle qui reconnaît, la première, la réalité incestueuse, à la fin de la pièce. Œdipe roi c’est une version du complexe d’Oedipe infantile : le second, Œdipe à Colone, c’est une version du complexe de castration. Driek van der Sterren, dans son livre « Œdipe, une étude psychanalytique d’après les tragédies de Sophocle » insiste sur ce qui, de ce mythe, reste voilé ou flou. Ainsi Jocaste et sa position ambigüe à reconnaître son fils dans son nouveau mari, Œdipe. Mais c’est aussi, la figure étonnante du Sphinx, représenté avec un buste humain féminin et un bas ventre animal masculin porteur d’une longue queue et des ailes. Sophocle parle du Sphinx au féminin: il l’appelle « la cruelle chanteuse » (Œdipe Roi vers 35-36 ) ou « la chienne »(390-392 ) ou « la vierge ailée » ou « la vierge aux griffes recourbées »( vers 507-5080 et 1198-1200 ) La sphinge est une énigme concernant la Sexualité. Dans le film Œdipe roi de Pasolini sa bouche est à la place de son sexe. Ce n’est pas là, la représentation sexuelle qu’incarne Tirésias, celui là même qui avait connu de son vivant la jouissance de la femme pour avoir été incarné, un temps, dans un corps féminin. Elle parle, la Sphinge, au nom de « la pas-toute », dit Lacan. Et, elle parle au-delà de l Œdipe, dit il, dans « l’Etourdit » (Autres Ecrits). La sphinge est du côté de la jouissance qui, en tant que pas-toute, parle au « ptihomme » qui doit traverser son Oedipe pour pouvoir finalement satisfaire une femme … quand il sera grand ! Car l’Œdipe ne livre rien de la satisfaction d’une femme. On en reste accroché à ce jeu de séduction imaginaire dans lequel s’endort le petit Hans avec sa mère. Dimension de leurre où Hans s’imagine en mesure de satisfaire sa mère et d’être son phallus. La sphinge pose l’énigme de la jouissance féminine, celle de la femme « chienne et lionne »; pas du tout l’interrogation sur la Mère–crocodile, dévoreuse de l’enfant, du séminaire IV. La sphinge serait peut-être à rapprocher de la « mère phallique » qui est ce qui de la mère doit être dépassé, pour pouvoir aborder « une femme » et sa jouissance énigmatique… car là, est la vraie énigme qu’incarne le Sphinx -Sphinge ! C’est la même question que celle qui taraudait Freud : « que veut la femme ? was viel das weib ? » . Question proche de : « qu’est ce qu’une femme ? »
Pour illustrer l’aridité de ces propos théoriques, je proposerai une vignette clinique : Henri est un jeune adolescent qui s’interroge sur le Sexuel en général et plus particulièrement sur la vie érotique de ses parents. Il décrit un père brutal et assoiffé de sexe et, une mère subissant sévices sexuels et rapports non consentis. Son fantasme de coït sadique, avec sa mère victime et subissant passivement, s’effondrera, le jour où « fortuitement » il assistera à une scène sans équivoque où cette mère lui apparaîtra comme indubitablement demandeuse, jouissante et active. Notre jeune patient s’en trouvera déboussolé et angoissé. « non, pas elle ! » s’écrira t il, dans la séance, en la traitant de « putain » ( tout comme Hamlet découvrant la féminité de sa mère et son attrait pour le phallus réel de son beau frère et nouvel époux, Claudius, nous dit Lacan dans le séminaire VI ) Hamlet reprochera alors à sa mère d’avoir bâclé les rites de deuil du roi assassiné, pour épouser Claudius, son beau-frère meurtrier : « les restes du repas de funérailles encore tièdes ont servi pour le repas de noces ». Hamlet tentera de détourner sa mère, en vain, des caresses de son amant... Avant d’y renoncer… Ce passage de la mère à la femme, sera déterminant également pour notre jeune patient ! Le fantasme de coït sadique et la victimisation passive de la mère idéalisée n’étant rien que des défenses contre l’horreur du réel de la Féminité : celle de la mère, autant que celle du sujet lui-même en l’occurrence. Il y a un au-delà de la mère et un au-delà de se débarrasser du père et d’avoir l’objet maternel tout à soi. C’est un au-delà de l’Œdipe. C’est cet au-delà que laisse percevoir le Sphinx, un au-delà du fantasme qui met en jeu ce phallus réel et la rencontre traumatisante avec le Sexuel toujours inadéquatement rencontré. Rencontre toujours manquée avec un rapport sexuel impossible, chez le parlêtre, et une jouissance féminine indicible même si éprouvée par une femme. On passe à une dit-mension du Réel où La mère n’est plus l’enjeu imaginaire d’une rivalité jalouse avec le père, voire d’un désir de tuer celui-ci; ce désir de tuer le père ne fait d’ailleurs, que l’immortaliser et ne fait que perpétrer, également, la figure imaginaire d’une Mère-Toute, toute phallique car Œdipe, l’enfant, est, en lui-même, son phallus à elle (cf. le cas du petit Hans ).
Alors, au-delà de l’Œdipe qu’y a-t-il ?
Lacan avait déjà énoncé « l’Œdipe ne saurait tenir indéfiniment l’affiche dans des sociétés où se perd de plus en plus le sens de la tragédie » Écrits p 813. Il avait dit « la psychanalyse n’est pas le rite de l’Œdipe » ; c’est le rêve de Freud et à ce titre il doit être analysé. Ce qui laisse supposer que l’au de là c’est le dépassement de la métaphore paternelle, celle qui échoue à recouvrir le Réel de la jouissance ( or, ce qu’il y a de plus réel c’est le symptôme, pas le fantasme qui ne fait qu’écran au trou du Réel de la castration maternelle ) La jouissance en général et plus particulièrement la jouissance opaque du symptôme, exclue du sens, ne peut être traitée par le NdP, qui n’est qu’un semblant. Le NdP n’arrive pas à dévaloriser la jouissance du symptôme. Voilà où en arrive Lacan dans son dernier enseignement. L’analyse reste, alors, à penser au-delà de l’amour du père œdipien. Pour aller au-delà de l’Œdipe il n’y a pas à passer sur le corps du père mort. Son cercueil est aussi vide que celui du Christ, comme dit Hegel. « Le NdP est en fin de compte quelque chose de léger » séminaire XXIII 16-3-76 et Il sert de bouchon à cet au delà du père freudien. Lacan en viendra à pluraliser les noms du père et à dire que le père est un symptôme.
Dans le séminaire XX, on peut soutenir que Lacan résume l’Œdipe à 2 formules de logique des fonctions propositionnelles de Frege : d’abord il existe un x moins phi de x et puis l’autre proposition : quelque soit x, phi de x (…………………….). Soit, il y a d’une part l’exception paternelle, l’au moins Un, hors castration, le père, qui constitue l’ensemble en tant que contenant, au sens de Cantor, et qui englobe, alors, tous les hommes en tant que soumis à la castration. Et il y a, d’autre part, le contenu même, de cet ensemble, soit les hommes comme pluralité, comme tous sans exception, qui représentent les éléments de cet ensemble d’hommes chatrés. Ainsi Lacan réduit l’Œdipe à la partie gauche des formules de la sexuation (séminaire XX p 73) laissant le côté droit à l’au-delà de l’Œdipe, où il y a la sexualité féminine et l’énigme du féminin avec sa jouissance supplémentaire (là où La Femme est barrée car n’existant pas en tant que LA Femme et où les femmes sont pas-toutes dans la fonction phallique). Ici, à droite, pas d’exception féminine, pas de LA femme, pas du « Tout » côté féminin, mais une logique du pas-tout. Pas d’Universel féminin, donc; pas de Dire d’exception; pas de généralisation des femmes regroupées dans un même ensemble. Les femmes n’existant que une à une, pas à situer dans un ensemble ! Le mythe de Don Juan, qui les compte « mille et très », reste un mythe féminin, nous rappelle Lacan.
On est passé ainsi de la logique aristotélicienne, basée sur l’Universel et la Particulière, à une logique du Singulier qui exclut une référence à une classe, à un groupe (tel par exemple : l’hystérie, la névrose, la psychose, etc.) C’est, en quelque sorte, nous dit J A Miller, la sortie du cas clinique, du collectionnable, pour un singulier valable uniquement pour Un, et Un tout seul. C’est le sinthome, comme nom propre du sujet, dans ce qui reste d’inanalysable du symptôme et qui suppose un dépassement du père, de l’amour du père qui fige la névrose. Et a contrario « du père on peut s’en passer si on sait s’en servir ». On passe alors du Tout au Pas-tout; du Tout phallique, du Phallus octroyé au Dire masculin, à cette logique pas-toute phallique de la dimension des parlêtres choisissant de s’inscrire sous la bannière sexuelle des femmes. Le Pas-tout est au-delà de l’hégémonie du Symbolique et s’oriente vers une Clinique du Réel. La Mère est, quant à elle, à ranger dans la moitié gauche du tableau de la Sexuation; c’est « quoad matrem » dit Lacan qu’elle entre en fonction dans la rencontre sexuelle (séminaire XX p 36) Elle s’y inscrit comme Tout, dans la partie gauche du tableau, comme tout phallique, avec sa progéniture comme autant d’ objets a. On peut aller jusqu'à formuler que les deux parties de ce tableau de la sexuation découpent d’un côté la Mère et de l’autre la Femme.
Ainsi : au-delà de l’amour du père sur quoi bute le névrosé, et au-delà du NdP, il y a le père-sinthome, non analysable, et le sinthome, qui sert et serre comme 4ième nœud dans la clinique borroméenne (serrant les jouissances et l’objet a et servant, comme écriture à faire tenir, typologiquement, le nœud du sujet réel) Et puis, au-delà de la Mère, il y a une Femme, dans des proportions variables, pourrions nous résumer ! Pas toutes n’acceptent ce mixage ! La mère peut cacher une femme avons-nous dit, car une mère n’est pas entièrement superposable à une femme laquelle peut refuser la maternité. C’est là, un des parcours de Lacan, que d’avoir déboulonné le Père de l’Œdipe (avec son pouvoir de normalisation et d’uniformisation dans une société patriarcale) et d’avoir ravalé le NdP à n’être qu’un trou ( de structure ) qui fait bouchon au trou du Sexe et ne peut que tenter de dissimuler l’impossible du rapport sexuel ( sauf à faire rapport sinthomatique avec l’autre comme partenaire – séminaire XXIII ) .
A partir de cet au delà, il n’existe pas d’Universel ; donc pas de pensées normatives, de pensée unique, pour la Psychanalyse : pas de pensée préétablie, pas de dogme; pas d’identification possible à un standard quelconque ou à un idéal, à un modèle. A l’analyste, après Freud, de se concevoir comme semblant d’objet a, pur déchet, et comme sinthome, ce qui ne l’empêchera pas de se faire obligatoirement la dupe du père pour pouvoir s’en passer .
Jean-Claude Affre