Paroles singulières en Méditerranée

Liste des intervenants

Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Dr Jean-louis Doucet
Dr Michel Leca
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr François  Morel
Dr Augustin  Ménard
 Rajaa Stitou
 Jean-Paul Guillemoles
Dr Marie  Allione
 Claude Allione
Professeur Bernard Salignon
Professeur Roland Gori
 Bernard Guiter
Pr Jean-Daniel Causse
 Gérard Mallassagne
 Jean-Claude Affre
Dr Marie-José Del Volgo
Dr Jean-Richard Freymann
Dr Patrick  Landman
 Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Marcel Ventura
Dr Marie-Laure Roman
 Franck Saintrapt
 Lionel Buonomo
Professeur Gérard  Pommier
Dr Arielle Bourrely
  ACF-VD
 Laurent Dumoulin
 Jomy Cuadrado
Professeur Michel  Miaille
 Guilhem  Dezeuze
 Aloïse Philippe
Dr Jean Reboul
Philosophe Jean-Louis Cianni
Dr Bernard Vandermersch
 Eva-Marie  Golder
 Bernard Baas
 René  Odde
 Daniel Nigoul

Fermer

PAROLES SINGULIÈRES EN MEDITERRANEE

14/03/2021, Jean-Louis Doucet-Carrière, Malaise dans l'énonciation

Fichier à télécharger : Malaise dans l'énonciation_122.pdf

                                                                                      Malaise dans l’énonciation ?


« Parce que l’acte fondamental de la parole est l’acte par lequel le sujet doit pouvoir  faire  acte de présence au point traumatique où l’Autre s’avère
absent » Alain Didier-Weill1

« Encore, c’est le nom propre de cette faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour. » Jacques Lacan2



Je vous dois un avertissement en préambule à cette réflexion, c’est qu’elle va être souvent hors-sujet à tous les sens de cette formule !


Je pense qu’il a bien été souligné ici que, après des décennies d’une nosologie psychiatrique
articulée autour du triptyque Névrose, Psychose
et Perversion, les nouvelles classifications
établies  par  les  DSM  successifs  nous  laissent  désarmés  quant  à  une  approche  de  la
souffrance psychique selon le rapport que celle-ci entretient avec le réel. Or, si nous suivons l’enseignement de Jacques Lacan, de rapport au réel,
au réel du sexe, il n’y en a pas  !
C’est dans la mesure où ce réel nous échappe éternellement, où le mystère de la vie ne cesse de nous interroger, que deux solutions s’offrent à nous :
Soit nous suivons l’adage de Jean Cocteau qui souligne que : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ! » et
dès lors nous suivons le DSM et son organisation rigoureuse de la souffrance psychique ; soit nous maintenons intacte la question du non rapport sexuel,
le mystère d’un réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Nous nous assujettissons alors à la quête infinie d’une vérité subjective hors de notre portée.
Victor Hugo dans son « Shakespeare » nous rappelle que: « La science est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais. »
La science vise une exactitude, l’approche psychanalytique de la souffrance  psychique s’attache à emprunter la direction d’une vérité subjective.
« La vérité se perd au milieu de tant d’exactitudes » soutenait Heidegger.

Ces quelques mots d’introduction visent à souligner que l’argument qui nous est proposé amène d’une certaine manière, inéluctablement,
une mise en tension dialectique entre ces deux concepts d’exactitude et de vérité. En effet, que ce soit par la distinction clinique des différentes structures
Névrose, Psychose et Perversion, que ce soit par la référence aux multiples troubles psychiques colligés dans le DSM V, c’est bien la  tentative d’atteindre
l’exactitude d’un diagnostic qui est en jeu.
Cela  reste,  dans  une  clinique  psychiatrique,  incontournable.  Il  faut  bien  en  effet communiquer entre praticien, il faut bien légitimer une
prescription médicamenteuse. Mais il faut pour cela également, prendre le temps de l’observation, le temps du doute, le temps de  l’acceptation  de
l’angoisse  générée  par  l’incertitude.  Henry  Ey  affirmait  :  « La schizophrénie est à la fin et non pas au début  », cela pour souligner l’importance de la
dimension  temporelle,  à  laquelle  nous  reviendrons,  dans  l’élaboration  d’un  diagnostic. Avant lui Claude Bernard soutenait que la médecine était
« Une patience ».

Une rapide digression pour rappeler que celui que l’on peut appeler le père de la médecine moderne puisqu’il est le promoteur de la médecine
expérimentale, serait de nos jours peutêtre sidéré de constater combien la médecine actuelle est devenue une urgence. Certes les progrès  techniques
ont  permis  de  gérer  au  mieux  beaucoup  de  situations  d’une exceptionnelle gravité par leur rapidité d’intervention et il ne s’agit pas ici, bien entendu,
de remettre cela en cause, mais pour autant et notamment en matière de souffrance psychique, les notions de rapidité, d’efficacité immédiate, sont de plus
en plus en plus prégnantes et mettent à mal cet indispensable temps pour comprendre. Comment peut-on, après une seule rencontre  aussi  prolongée soit-elle
dans  l’urgence  d’un  service  de  garde,  établir  un diagnostic codifié qu’il soit référencé au DSM V ou à la CIM 10 ? Cette codification , même, si je sais
qu’elle peut-être modifiée par la suite, est quand même un élément de référence pour les différents soignants.

Pour revenir plus directement à notre argument, je me propose, dans un premier temps, d’envisager comment la distinction freudienne entre Névrose,
Psychose et Perversion a pu
enrichir la clinique psychiatrique.
En découvrant l’inconscient et en inventant la psychanalyse, Freud, après avoir observé Charcot, a théorisé certains mécanismes de la souffrance psychique
qui interrogeaient la médecine et les médecins depuis Hippocrate notamment. La constatation du fait qu’une manifestation clinique sans substratum lésionnel
retrouvé puisse être en rapport avec un souvenir refoulé hors de la conscience, a ouvert un champ des possibles extraordinaire pour la  compréhension  de
mécanismes  psychopathologiques  échappant  à  la  rationalité consciente.
L’incomparable richesse de la sémiologie psychiatrique commençait dès lors à se soutenir d’une consistance théorique qui, pour faire court, permettait
de passer de la folie à la maladie psychiatrique.
Les mystères de la névrose hystérique décrite par Freud et les concepts tels que ceux d’un inconscient lié au refoulement, de transfert, de répétition et
de pulsion que Lacan définira plus tard comme les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, ont progressivement permis de penser la maladie
mentale comme consubstantielle au vivant humain.
On connaît la phrase de Lacan qui dans « Propos sur la causalité psychique » avance que : " L'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans
la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme limite de la liberté
"3

Mais revenons à Freud qui, dès ses travaux sur l’interprétation des rêves, nous a amené à percevoir  qu’aussi  loin que  l’on pousse l’analyse  d’un rêve,
il y avait toujours un point irréductible à cette analyse,  ce qu’il appelle l’ombilic du rêve et qui sera à jamais non reconnu, Unnerkant. Mystère du refoulé
originaire que Freud a mis en évidence grâce à un de ses propres rêves, rêve dit de ‘’L’injection faite à Irma’’ et où il se heurte à la formule absurde
de la Triméthylamine.
Il restera à jamais une part énigmatique chez chaque être humain.
« Dans  les  bras  du  ravisseur,  il  y  a  toujours  l’imprenable »  avançait   Denys,d’Halicarnasse. Cela soutient le fait qu’il y aura toujours une partie
secrète du vivant humain que rien ni personne ne pourra pénétrer.

Il s’agit donc, dans la mise en tension dialectique de la théorie psychanalytique avec les manifestations cliniques de la souffrance psychique, les maladies
psychiatriques en particulier, de tenir compte du fait que toutes les articulations qui pourront être faites, toutes les hypothèses qui pourront être émises,
le seront toujours autour du point originaire d’une ignorance abyssale.
Cela, évidement, pose un problème majeur quant aux progrès d’une psychiatrie qui, grâce aux découvertes pharmacologiques sans précédent du XX ème siècle,
ont pu porter l’espoir d’une prise en charge de la maladie mentale qui serait basée sur des certitudes scientifiques. Les progrès de la pharmacopée ont
effectivement permis de maintenir hors institution un nombre de patients de plus en plus important et ce n’est pas une mince réussite.
Dès 1966 Lacan soutenait :
« La médecine est entrée dans sa phase scientifique, pour autant qu’un monde est né qui désormais exige les conditionnements nécessités dans la vie de chacun
à mesure de la part qu’il prend à la science, présente à tous en ses effets.
»
On ne peut mieux décrire le bouleversement qu’ont provoqué chez tous et chez chacun les prodigieuses avancées techno-scientifiques des dernières décennies.
Cette mutation qui a fait passer d’un monde de croyance à un monde de science a eu des effets, à la fois sur la médecine et la pratique médicale, mais aussi
sur le rapport de chaque parlêtre à la maladie. La souffrance psychique n’échappe pas aux effets de cette mutation, la psychanalyse et les psychanalystes non plus.
Georges Canguilhem soutenait :  « On comprend que la médecine ait besoin d’une pathologie objective, or, une science qui fait évanouir son objet n’est pas
objective
». Cela pour souligner que l’objet de la médecine restera toujours un sujet en souffrance. C’est bien, à mon sens, le point de butée de la psychiatrie
actuelle. En objectivant systématiquement  la  souffrance  psychique  avec  les  atours  d’une  séméiologie réduisant un individu à la somme détaillée de
ses comportements, c’est une notion capitale du vivant humain qui en est éludée. Ce mystère de l’être parlant, l’énigme éternelle qui le fait parler, qui le fait
ou pas, sujet d’un discours, est totalement déniée.
Comment  penser  l’influence  de  la  science  sur  le  sujet,  sur  la  manière  dont  se manifeste la souffrance psychique ? Les techno-sciences ont modifié
le rapport de l’humain au monde, en se posant comme références incontestables, dès lors,  la science devient à elle-même sa propre casuistique et le bureau
des eschatologies n’a plus besoin d’assurer une permanence !
L’immédiateté de la jouissance se substitue à la patience qu’impose la problématique désirante.
Cet envahissement par le tout et tout de suite façonne des individus qui vont trouver de  nouvelles  modalités  d’expression  pour  traduire  leur  souffrance
au  soignant. Nouvelles traductions mais traduisent-elles les mêmes textes ? De plus le soignant qui doit lire le  texte de cette  souffrance est tout autant immergé
dans ce monde techno-centré.

C’est comme cela que je poserais la difficulté que soulève l’argument de cette année.
Nous sommes quotidiennement confrontés à une séméiologie clinique qui par bien des points échappe aux descriptions canoniques des manuels de psychiatrie.
C’est sûrement ce qui fait, en partie, exister les classifications dites a-théoriques.
Ce caractère inclassable de certaines manifestations cliniques ne dispense pas pour autant de l’exigence d’en théoriser les mécanismes psychopathologiques.
L’animal symbolique qu’est le vivant humain est, du fait de sa prise dans le langage, animé par des phénomènes pulsionnels incessants qui doivent trouver
un chemin dans l’économie psychique pour atteindre leur but.
Les représentants psychiques de ces pulsions, les signifiants, s’articulent entre eux dans une chaîne aux caractéristiques très singulières puisque, si l’on suit Lacan,
c’est autour  de  l’absence  d’un  signifiant  dans  l’Autre  que  s’organise  la  dynamique subjective, que le langage peut porter une parole, qu’une énonciation
peut jaillir au détour d’un discours.

C’est,  pour  moi,  autour  de  cette  dimension  du  manque  que  doit  se  situer  notre réflexion.
Nous sommes, en clinique quotidienne, de plus en plus souvent confrontés à des patientes  ou  patients  en  grande  souffrance  mais  dont  il  est  souvent  difficile
d’appréhender ce qu’ils attendent réellement de la rencontre avec le soignant. Certes ils demandent de ne plus souffrir, mais l’idée que cette souffrance puisse
répondre à des accrocs dans le rapport qu’ils entretiennent avec eux-même, avec les autres et avec le monde, leur paraît quelquefois, tout au moins dans un premier
temps, comme totalement étrangère.
Je pense à Marguerite, grande dépressive, passionnée de son père et méprisée par sa mère, qui à la suite d’une longue hospitalisation en psychiatrie, a été
diagnostiquée bipolaire. Marguerite est infirmière et a beaucoup lu sur cette pathologie. Il est a noté que  sa  seule  période  hypomaniaque  est  survenue  après
qu’elle  est  appris  ce diagnostic. Marguerite me parle de ses errances relationnelles mais dès que j’oriente notre entretien vers une dimension subjective,
la sentence tombe  : « Mais cela je sais que c’est ma bipolarité qui en est responsable ! » Dont acte.
Le diagnostic de trouble bipolaire n’est pas ce que je veux mettre en question, ce qui me paraît exemplaire dans cette vignette clinique c’est la place que vient
prendre ce diagnostic dans les dires de Marguerite. L’Autre médical, Autre accueilli ici comme non barré, vient se substituer au grand Autre de son histoire
singulière.
Comment, dès lors, diriger l’entretien clinique vers ce qui, chez Marguerite, pourrait l’impliquer subjectivement dans les ratés de son parcours ?
Je pourrais multiplier à l’envi des vignettes cliniques de cet ordre qui relèvent très souvent de ces diagnostics de plus en plus souvent posés que sont
en plus de la bipolarité,  les  Asperger,  les  troubles  borderlines,  les  phobies  sociales,  les personnalités dépendantes et chez l’enfant Le TDHA.
C’est là, je crois, le nouveau challenge qui s’offre au clinicien qu’il soit Psychiatre, Psychanalyste ou les deux à la fois. Ce challenge consiste, pour
le dire trivialement, à tenter de passer du prêt-à-porter, prêt-à-penser de la norme médicale au sur-mesure dicté par la singularité de l’histoire de chaque Un.
De ce point de vue là, la distinction freudienne entre Névrose, Psychose et perversion basée sur les mécanismes du refoulement, de pathologie du narcissisme
– on sait que Freud à propos des psychoses parle de psycho-névroses narcissiques - ou de clivage du moi, a  l’immense fécondité de maintenir la place de
la singularité de chaque histoire dans une expression clinique qui peut être ramenée à un de ces trois types de mécanisme psychopathologique.
Alors, quelle valeur donner désormais à cette distinction entre Névrose, Psychose et Perversion ?
On sait que, à propos de la métaphore du signifiant du nom-du-père, Lacan soutient dans le séminaire XXIII que l’« on peut s’en passer à condition de s’en servir.»
eh bien, je renverserai cette formule lacanienne en la paraphrasant et proposerais que de cette distinction entre Névrose, Psychose, Perversion : « on doit pouvoir
continuer à s’en servir, à condition de savoir s’en passer ! »

Je vais tenter de soutenir cette formule provocatrice.
Tout  le  travail  de  Lacan,  à  la  suite  de  Freud,  me  paraît  marqué  par  un questionnement, une recherche acharnée de ce qui permet à chacun d’assumer sa
différence et de faire de cette révélation ce qui pacifie le rapport du sujet à son désir.  Freud puis Lacan, ont évolué et ils ont évalué, chacun avec leur propre
style, ce qui pouvait faire moment de conclure dans le trajet d’un analysant. La rencontre du roc de la castration pour Freud, le heurt avec le réel (le bon heurt)
selon Lacan.

En quoi la distinction entre ces trois structures Névrose,Psychose et Perversion peutelle  à la fois nous servir dans notre clinique quotidienne mais aussi
remettre en question cette rencontre du réel ?
Je dirais, de façon un peu lapidaire, que ces 3 structures sont du côté du savoir, elles constituent un  corpus de connaissances issues de la démarche inductive
inaugurée par le génie freudien à partir de sons sens sur-aigu de l’observation clinique.
Elles nous donnent des outils capitaux pour envisager la manière dont chaque sujet traitera sa réalité quotidienne et par là, elles nous donneront une idée
des modalités évolutives de sa souffrance. Ces éléments seront très utiles au plan de la prise en charge  médicale  et  sociale  de  certains  patients.  Pour  autant,
en  réinsérant  une souffrance singulière dans une classification psychopathologique, elles nous exposent au risque de nous installer dans le confort d’un savoir
qui pourra faire obstacle à l’étonnement devant l’originalité d’un parcours, un savoir qui pourra nous rendre sourd aux signifiants énigmatiques de certains
énoncés.
Il s’agit je crois, de pouvoir toujours écouter un patient avec ce que je pourrais appeler des ‘’oreilles enfantines’, des oreilles non encombrées par un savoir qui
pourrait parasiter l’écoute des énoncés de l’autre en souffrance.
Se laisser étonner par la parole de l’autre c’est s’autoriser en tant que clinicien, à croire sans aucune limitation ce que cette parole porte. Croire en l’énoncé
du patient c’est le croire, ce qui ne veut pas dire, qu’à ces énoncés il faut forcément y croire !

« Ce qu’on dit ment » assure Lacan avec humour, mensonge qui peut se soutenir d’une dénégation ou d’une forclusion, mensonge qui traduit un
assujettissement à la demande de l’Autre. Autre barré dans la dimension névrotique, Autre non barré dans la psychose, déni du manque dans l’Autre chez
le pervers (Je sais bien mais quand même).
Du côté des énoncés nous trouverons toujours un sujet prêt à assumer sa parole. Mais le sujet de la parole ne peut être confondu avec le sujet de l’inconscient
celui qui surgit dans une énonciation.
Tout  l’Art  de  la  clinique4 réside,  à  mon  sens,  dans  ce  désir  indestructible  de l’Analyste à diriger un analysant vers son propre espace désirant qu’il
dévoilera dans le temps d’une énonciation.
La psychanalyse n’est pas la psychiatrie mais elle doit en rester une de ses références théoriques et, en ce sens, la distinction Névrose, Psychose, Perversion,
garde toute sa valeur clinique si toutefois le praticien est à même de l’oublier dans le temps de l’entretien. La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié,
dit-on, j’avancerais que cette distinction Névrose, Psychose et Perversion, c’est ce qui subsiste lorsque le praticien a pu s’abandonner pour un temps à l’oubli
de son savoir.

Il y a évidemment une autre dimension dans l’argument qui est proposé cette année. Je l’ai évoquée il y a un instant (p.3) en parlant de nouvelles traductions
cliniques de la souffrance psychique et en émettant l’hypothèse que ces nouvelles traductions ne traduisaient pas forcément les mêmes textes que jusqu’alors.
Nous rencontrons, bien sûr toujours des tableaux typiques de psychoses dissociatives ou non, quelques névroses obsessionnelles invalidantes. La névrose
hystérique est peut-être de plus en plus difficile à cerner de par son polymorphisme clinique et un rapport à la loi et à la sexualité qui s’est radicalement modifié.
Pour autant, et c’est tout l’intérêt de l’argument d’aujourd’hui, nous nous trouvons souvent face à des tableaux cliniques de souffrance qui peuvent nous faire
évoquer chez le même patient une multitude de diagnostics surtout si on les résume à des troubles !
Je  vais  partir,  pour  aller  plus  avant,  d’une  idée  simple  qui  est  celle-ci : le conformisme a changé radicalement de visage dans les dernières décennies.
Qu’est-ce à dire ?
La doxa, à savoir  les énoncés communément admis, a subi une mutation profonde sous l’influence de plusieurs facteurs, j’ai déjà souligné la place de
la science et surtout des techno-sciences dans la société actuelle, il faut y associer la perte de vitesse des idéologies politiques, un désintérêt marqué pour
le fait religieux, et, en partie conséquence de ces derniers éléments, un rapport au temps et à l’hédonisme bouleversé. Le tout-à-l’égo est devenu une valeur
immanente, un célèbre mannequin soutenant : « Parce que je le vaux bien ! »
Le conformisme n’est plus, dès lors, un assujettissement à une bien pensance référée à quelques valeurs historiques, mais une identification à une
constellation de prises de positions  assertives  peu  récusables  car  voulant  s’appuyer  sur  des  faits  se  disant incontestables.
Le rapport à la loi s’en est trouvé bouleversé, se transformant rapidement en respect de la règle.
Mais les règles sont du registre de l’immanence, elles sont édictées par les individus dans leur dimension de socius et non dans leur singularité subjective.
Elles sont faites par l’homme et s’inscrivent dans un monde qui n’est pas fait  pour  l’homme. Le rapport à l’Autre peut s’échapper du registre du symbolique.
C’est un rapport à un Autre dans une dimension imaginaire. Certes cet Autre peut s’absenter, l’absence de
l’Autre  peut  tout  à  fait  être  acceptée  mais   l’absence  dans  l’Autre  n’est  pas concevable et la dimension du manque à être que cette dernière implique
n’est plus d’actualité.
Je vais prendre la liberté d’imager cela par un regard porté sur deux personnalités qui certes n’ont pas du tout la même dimension historique, mais dont
le rapport au symbolique me paraît explicite dans sa différence.
Je prendrai en premier pour exemple le Général de Gaulle. Il n’est pas question ici d’analyser factuellement la portée historique de son personnage, mais
à travers une citation  de  montrer  comment  la  dimension  symbolique  y  est  déterminante. A  la libération de Paris de Gaulle énonce :«Il y a là
des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies
». La définition du sujet de l’inconscient pourrait être un analogon de cette formule, à savoir que
le sujet de l’énonciation surgit toujours en dépassant les énoncés qui balisent notre pauvre vie.
L’autre exemple, dans un tout autre registre, est celui de l’écrivain Michel Onfray. Il répond à une question du rédacteur en chef du magazine le Point :
« S’ennuyer c’est n’avoir rien d’autre à fréquenter que soi. Or, le monde est vaste en dehors de soi ! »
Cela pose problème car étymologiquement s’ennuyer vient du latin « in odio esse » ce qui renvoit à la haine de soi. Si Valéry a pu dire  « Il faut entrer
en soi-même armé jusqu’aux dents
» c’est bien qu’il n’est pas si facile que cela de se fréquenter…
Certes, et Freud le montre avec une pertinence sans pareil dans son texte sur la dénégation, il y a un dedans et un dehors du vivant humain, mais le monde
du dehors n’ex-siste que parce qu’il y a un dedans. Si je fais ce rapprochement, certes très insolite, entre ces deux citations, c’est que la réponse
de Michel Onfray me semble à l’opposé absolue de la notion de sujet de l’énonciation. Le soi dont il parle n’a à voir qu’avec  la  dimension  imaginaire
d’une  orthopédie  moïque    qui  dénie  le  trou symbolique  crée  par  la  parole  dans  le  réel  et  la  dimension  du  manque,  de l’incomplétude qui
en résulte. Cela l’autorise dès lors, à ne faire de la dimension du,doute qu’un concept nécessaire à un conformisme philosophique rationnel.
Si  j’ai choisi des personnalités aussi éloignées l’une de l’autre pour imager mon propos, c’est qu’il appert là que le conformisme, le traditionalisme
ne me paraît pas du tout du côté où on le situerait dans un premier mouvement.
C’est par là que je reviendrai à notre clinique contemporaine.

En effet, je dirai  dans  une  formule  certes un peu  laconique,  que la clinique de l’anormalité se subsume dans ce que la  doxa reconnaît comme
témoignant de  la normalité.
Concept de normalité au sens où l’entend le mathématicien René Thom  : « (…) le concept  de  ‘’normalité’’  apparaît  comme  une  ruse  employée
par   l’esprit  pour maintenir les exigences de descriptibilité du langage (mathématique ou usuel) en face de l’inévitable irréversibilité de la
dégradation entropique des systèmes. Un combat, qui, comme pour toute vie individuelle, s’achève toujours par une défaite.
»

La clinique de l’anormalité, elle, va se résumer et se réduire à l’approche imaginaire d’un moi qui serait en difficulté dans son adaptation aux injonctions
au bonheur  qui nous envahissent !


C’est là, à mon sens, la grande nouveauté de la clinique contemporaine qui nous montre  un individu en détresse  qui, lui-même  pris  dans les rets
du discours normatif, ne voit comme lumière au bout du tunnel de sa souffrance que les imagessons partout distribuées dans lesquelles pourraient
se dissoudre les symptômes de son impuissance à trouver une place..
Eros est là bien éloigné de Thanatos ! C’est vers le versant mortifère de la pulsion qui prend la direction de son existence.
On sait avec Lacan que le symptôme est ce qu’il y a de plus réel dans le sujet. Or, nous  sommes  désormais  confrontés  à  la  dimension  uniquement
imaginaire  du symptôme,  celle  qui  affecte  le  moi  et  ignore  justement  le  sujet.  C’est  donc  la dimension du réel qui est forclose d’un discours
qui accumule les énoncés, qui érige
en idéal la dimension moïque. La part de réel qui échappe au langage, l’impossible à symboliser s’efface pour
laisser place à une impuissance à habiter ce moi idéal.
Il y a un déni de réel qui entraîne un déni de sujet.
Je crois qu’il faut préciser ces notions de forclusion et de déni.
Leur  emploi  peut  laisser  accroire  que  je  situe  systématiquement  ces  nouveaux tableaux cliniques du côté de la psychose ou de la perversion.
Ce n’est pas le cas.
Soulignons d’abord que cette mise en avant de la dimension imaginaire, en éludant la question du sujet de l’inconscient,  évacue du champ
des possibles cliniques les tableaux névrotiques classiques qui sont les témoins indéniables de la division du sujet. Mais ce n’est pas le regard qui crée
la structure. Je souhaite formuler par cela que  l’approche de ce que j’appellerais la nouvelle clinique qui évacue totalement tout questionnement
sur la dimension du désir inconscient se conjugue à la  doxa qui est la référence intangible des comportements. Dès lors, il y à mon sens, tout un
travail de ce que l’on peut aborder comme une névrotisation de nos patients afin que du doute, un questionnement sur ces énoncés qui font références
en toutes choses adviennent enfin. Application clinique de la sentence de Lautréamont  : « Le doute est un hommage rendu à l’espoir »

Il y faut de la patience, souvent récompensée par un travail qui peut s’engager sur la part prise par l’histoire de chacun dans cette souffrance
qui le surprend.
Mais quelquefois, en tout cas trop souvent, il paraît impossible de déclencher ce processus de questionnement soit par ce qu’aucun humour
n’est accessible, aucune métaphorisation n’est à même de sidérer le patient, soit parce que celui-ci a, si je
peux  m’exprimer  ainsi,  trouver  un  itinéraire-bis  en  choisissant  la  voie  d’une addiction, des expériences extrêmes, un rapport pervers à l’autre.
C’est là où sont questionnées les concepts de forclusion et de déni, terme auquel je préférerai celui de désaveu.
C’est là encore où,  plus que jamais, il faudra oublier notre savoir théorique pour pouvoir garder des oreilles enfantines aptes à s’étonner à l’écoute
de la parole de l’autre en souffrance.
C’est là où pourra se percevoir ce que j’ai proposé d’appeler un ‘’malaise dans l’énonciation’’, malaise qui pourra relever soit d’une difficulté liée
à un refoulement, soit d’une impossibilité engendrée par une forclusion.
Il faudra alors si une relation transférentielle s’est installée, s’engager dans travail afin de tenter de passer du symptôme au sinthome.

Précisons cela pour terminer.
Le  symptôme  je  le  définirai  avec Alain  Didier-Weill  comme  ce  qui  permet  de « substituer à la dimension d’une vérité cachée par le moi,
celle d’un moi cachant la vérité
»5. Mais Lacan a bien souligné que la vérité ne peut se dire toute, une partie de la vérité subjective échappe toujours
à la parole et au langage comme je l’ai souligné plus haut dans cette intervention. Il y a toujours un noyau d’unnerkant, qui nous prouve que la vérité
n’est pas toute et c’est en cela qu’elle tient au réel.
Pour  faire  court  cet  unnerkant ressort  du  passage  par  le  refoulement  originaire, rupture, ‘’catastrophe’’ historique qui pose problème chez
le psychotique.
Si la dimension moïque verrouille, peut-être uniquement pour un temps, tout accès à une Autre scène, c’est la possibilité de tomber dans un amour
de transfert qui pourra permettre ,  grâce au cadre contenant  qu’il instaure,  d’écouter et d’accueillir une parole dans ce qu’elle a de singulier.
Pour faire court je dirai que cette singularité de la parole c’est le rapport qu’elle entretient avec la jouissance. Autrement dit, le transfert doit être
le lieu, chaque fois différent car c’est le lieu du corps, le lieu où le réel du symptôme, réel qui est par définition  trans-structural,  pourra  peut-être
advenir  comme  sinthome  en  tant  que celui-ci est évènement de corps.
La problématique du soin ainsi posée, dépasse, on le voit, la distinction Névrose, Psychose et Perversion, elle permet là de s’en passer à condition

toutefois de s’en être servie au principe de la rencontre toujours manquée avec nos patients...

 

Bibliographie :

1 - Didier-Weill Alain, " Les troistemps de la loi " p. 272, Seuil, 2008

2 - Lacan Jacques, Le séminaire livre XX, p. 11, Le Seuil, 1975

3 - Lacan Jacques, " Propos sur la causalité psychique ", p. 41,Ecrits, Seuil, 1966

4 - Freymann Jean-Richard, " L'art de la clinique ", Eres Arcanes, 2013

5 - Didier-Weill Alain, " Les trois temps de la loi ", p. 227, Seuil, 2008

Intervenants

Interventions

 ACF-VD
Jean-Claude Affre
Dr Marie  Allione
Claude Allione
Bernard Baas
Dr Arielle Bourrely
Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Lionel Buonomo
Pr Jean-Daniel Causse
Philosophe Jean-Louis Cianni
Jomy Cuadrado
Dr Marie-José Del Volgo
Guilhem  Dezeuze
Dr Jean-louis Doucet
Laurent Dumoulin
Dr Jean-Richard Freymann
Eva-Marie  Golder
Professeur Roland Gori
Jean-Paul Guillemoles
Bernard Guiter
Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Patrick  Landman
Dr Michel Leca
Gérard Mallassagne
Dr Augustin  Ménard
Professeur Michel  Miaille
Dr François  Morel
Daniel Nigoul
René  Odde
Aloïse Philippe
Professeur Gérard  Pommier
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr Jean Reboul
Dr Marie-Laure Roman
Franck Saintrapt
Professeur Bernard Salignon
Rajaa Stitou
Dr Bernard Vandermersch
Dr Marcel Ventura