J-L DOUCET, Pour une science du confinement. 7/04/2020
Pour une science du confinement. Jean-Louis DOUCET-CARRIERE
Pour une science du confinement ?
« La science est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais. »
La crise sanitaire que nous traversons, questionne bien sûr aussi le champ de la psychanalyse.
Dans ces circonstances tragiques, la place du langage dans l’information que nous recevons en tant que socius,
se dévoile souvent dans une dimension d’obscénité fascinante.
Que ce soit par la diffusion de chiffres[1] ou par celle de données présentées comme issues de la science la plus rigoureuse,
la médiatisation de la crise muselle toute possibilité d’appréciation subjective de ce réel qui nous heurte de plein fouet.
Nous n’avons pour communiquer et transmettre que deux outils : les mots et les images.
Quand ces deux outils s’additionnent dans une obturation complète du temps médiatique, il ne reste plus qu’une seule issue pour le sujet de l’inconscient
c’est le repli dans l’angoisse de néantisation que génère le manque de manque comme l’a si justement montré Jacques
« Un homme compétent, disait Valéry, est un homme qui se trompe selon les règles »
Notre société pullule de personnes hyper-compétentes qui ne se soumettent souvent qu’aux règles qu’elles ont elles-même établies.
Une somnité de l’infectiologie parisienne peut s’autoriser à dire sur une grande radio nationale que « seule la Raison doit dicter nos comportements ».
De quelle raison parle-t-elle ? La raison ne se résumerait donc qu’à la raison scientifique, cette raison scientifique n’étant d’ailleurs absolument pas homogène ?
Le problème n’est pas de remettre en cause en quoi que ce soit les compétences de cette Professeure de médecine,
mais il est de savoir au nom de quoi elle s’autorise à présenter sa fonction comme garante d’une vérité conjoncturelle.
Car il ne s’agit pas ici pour elle d’avancer des données scientifiques dans leur exactitude,
mais de se poser en détentrice d’un savoir sur la vérité qui donnerait une issue à la sortie de cette crise.
Certes, ce sont les avancées dans la connaissance de ce virus qui permettrons de nous relever de cet épisode sanitaire, mais comment les diffuser ?
Comment prouver la validité de ces découvertes dans un contexte d’urgence ?
La polémique affligeante née entre Paris et Marseille pour ou contre l’utilisation de l’hydroxychloroquine nous montre que, malgré l’intensité de la crise traversée,
certaines compétences n’arrivent pas à se soustraire à un conformisme méthodique qui, s’il est indispensable et hautement fécond dans des conditions habituelles, n’est plus de mise en situation critique.
Attendre 6 semaines le résultat d’une étude en double aveugle contre placébo pour valider une prescription qui peut, peut-être, sauver des centaines de vies, n’est pas une position tenable à mon sens.
Les effets secondaires, pour certains très graves, de cette molécule sont parfaitement connus et on sait repérer les personnes susceptibles d’en être victimes,
ces effets secondaires sont tout à fait compatibles avec son utilisation large.
Si les études classiques viennent à montrer son inutilité, quels risques aura-t-on pris ?
Les cliniciens, les chercheurs de tous bords, doivent s’autoriser, quand les circonstances l’exigent, à « bricoler » au sens de Claude Lévi-Stauss,
c’est-à-dire à utiliser ce qu’ils ont à disposition hic et nunc pour engager le combat contre cet ennemi invisible.
C’est par là que je rejoindrai le champ de la psychanalyse.
Il y a des « perfections étroites » disait Cioran, c’est-à-dire qu’à limiter le champ des possibles à celui des énoncés établis, à la doxa,
la capacité du vivant humain à innover, à créer, à aller à la rencontre de l’inouï, de l’invisible, de l’immatériel se trouve réduite à écumer les savoirs universitaires.
Certes, cela n’est pas négligeable, pour autant, un regard sur l’histoire de l’animal symbolique que nous sommes,
nous montre que c’est le plus souvent par des ruptures épistémiques que les connaissances ont progressées.
Cette capacité à sauter par dessus l’ombre portée du savoir institué, est consubstantielle à l‘existence d’une Autre scène où la vérité balbutie (Lacan).
C’est en balayant les certitudes imaginaires portées par un Moi tout puissant que la dimension du réel peut être approchée.
L’attitude de certains scientifiques, de certains politiques, de certains économistes en est tout à fait symptomatique
au sens où « «...le symptôme a [...] pour fonction de substituer à la dimension d’une vérité cachée au moi, celle d’un moi cachant la vérité. » (A. Didier-Weill)
La dimension amphibologique du langage ne doit pas être forclose dans les moments critiques que nous vivons.
Ainsi, le langage est à la fois un instrument de transmission de signes et le vecteur d’une vérité subjective portée par la parole qu’il supporte.
L’exactitude scientifique relève de cette dimension du signe qui selon Pierce est « ce qui représente quelque chose pour quelqu’un ».
Mais, même le langage des scientifiques est porteur de leur vérité subjective et arrive toujours un moment où le discours de la science est infléchi par l’histoire et la subjectivité de chacun de ceux qui le tiennent.
Pour autant les certitudes rassurantes du signe persistent et dévient le regard porté sur le réel des faits. C’est cela qui fait symptôme.
Le symptôme témoigne du fait que le sujet est touché par le réel et que la fonction qu’a la parole dans le champ du langage introduit en lui un manque radical.
Ce n’est qu’en acceptant ce manque à être qui fait que le parlêtre ne pourra jamais tout dire, que la vérité ne sera jamais toute et que le réel est de l’ordre de l’impossible,
que pourra surgir une énonciation qui peut permettre à un sujet de s’évader de l’Empire du Signe.
Les avalanches successives d’images-sons non élaborées, non filtrées par la prise de distance indispensable au temps pour comprendre,
peuvent venir boucher notre capacité à accueillir le réel comme impossible et nous confiner dans une impuissance seulement commensurable à l’angoisse qu’elle accompagne.
Ce confinement de la pensée me paraît au moins aussi traumatisant que le confinement physique auquel nous sommes contraints.
On sait que le mot angoisse vient du latin angustia qui veut dire resserrement, le verbe ango signifiant serrer. L’affect d’angoisse est consubstantielle au confinement,
mais, si à l’angoisse physique liée à un périmètre resserré s’ajoute une angoisse liée à un trop plein de représentations, que celles-ci soit de choses ou de mots,
le confinement peut atteindre le niveau d’un trauma sidérant qui paralyse toute la dynamique psychique.
Lacan soutenait « Ainsi le symbole se manifeste d’abord comme le meurtre de la chose et cette mort constitue dans le sujet l’éternisation de son désir »
Il est bien difficile en cette période de crise de maintenir cette distance entre la chose et le mot,
distance indispensable au maintien d’une énergie psychique et à un temps pour comprendre.
La musique, la danse, le dessin ou la peinture, la lecture, la poésie sans aucun doute, actualisent cette distance là.
Je finirai comme j’ai commencé avec Hugo qui nous rappelle que
« La destinée nous tend parfois un verre de folie à boire. Une main sort du nuage et nous offre brusquement la coupe sombre où est l’ivresse inconnue. »
Nous ne devons pas nous enivrer d’images et de mots mais nous ne pouvons qu’accepter cette coupe sombre qui nous est tendue...
Bon courage à tous, et à très bientôt j’espère.
Jean-Louis Doucet-Carriere
[1]Voir en ce sens : Roland Gori : https://m.facebook.com/notes/les-liens-qui-libèrent/il-faut-vraiment-que-les-gouvernements-arrêtent-de-torturer-les-chiffres-un-bill/2896610700406826/