12/10/2019, JC Affre, La Sublimation
Séminaire JL DOUCET Sète 12 Octobre 2019
LA SUBLIMATION ( die sublimierung pour FREUD )
étymologie :latin sublimis , haut ,élevé ,suspendu en l air ; limis :boue , fangue
Limus : ce qui monte en l air en ligne oblique
D’ où, 2 mouvements contraires , élévation et abaissement ; le sublime désigne donc le plus élevé de ce qui est en bas
En préambule , je citerai « l’hommage faite à marguerite Duras » où Lacan évoque le regret que Freud , concernant le sens de la sublimation,
soit resté « bouche cousue » même s’il a pu, toutefois , avertir « que la satisfaction qu’elle emporte n’est pas à prendre pour illusoire »
alors que le public est persuadé du contraire !
FREUD utilise ce terme de sublimation , pour spécifier un des 4 destins de la pulsion (avec le retournement sur la personne propre,
le renversement en son contraire ; le refoulement ) in métapsychologie 1915
Dès 1908 dans « la morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse … » il écrit : « la pulsion sexuelle …a cette propriété de déplacer son but.
On appelle capacité de sublimation cette capacité d échanger le but … à l origine sexuel contre un autre qui ne l est plus mais qui est
psychiquement parent avec le premier » in la vie sexuelle p 33
Donc pour FREUD la sublimation est un déplacement quant au but sexuel , une inhibition du sexuel et une satisfaction pulsionnelle
( befriedigung ) sans refoulement c a d , un destin de la pulsion qui ne fait pas symptôme .Donc pas de renoncement comme pour le symptôme !
la sublimation est une déviation sans angoisse et culpabilité , associée également à une satisfaction esthétique et culturelle Elle échappe
à la castration , sans faire symptôme ;c’est une satisfaction directe , ce qui la rapproche de la perversion .
Avec l article « pour introduire le narcissisme » 1914 , Freud distingue sublimation et idéalisation ; la sublimation portant sur la pulsion,
l’idéalisation sur l’objet) .Mais il souligne que la sublimation en tant que déplacement quant au but sexuel doit passer par la position narcissique
afin de se désexualiser. Il s’agit d’un retrait de libido de l’objet sexuel , puis d’un retour sur le MOI , et enfin d’un investissement d’un objet
non sexuel . Pourquoi la pulsion se satisfait elle d une sublimation qui implique une désexualisation , laquelle , de fait , contrarie
le mouvement initial de la pulsion ? paradoxe , car il semblerait , alors, que , la libido qui est, par nature ,sexuelle , devrait se désexualiser,
en passant par le principe de réalité ; ce qui ne va pas sans poser à Freud la question du joint du pulsionnel et du sexuel ! En effet
la sublimation procure un gain de plaisir lié à son retentissement dans le champ social et culturel : l artiste se valorisant d une reconnaissance
de son œuvre par ses contemporains . Lacan avec son concept de jouissance éclairera ce débat ( la jouissance sexuelle n étant qu’ un mode
de jouir autant dans la sublimation que dans le symptôme ou le blabla ( « je ne baise pas , je vous parle ,eh bien ! Je peux avoir la même
satisfaction que si je baisais » ) séminaire xi p 151 c'est-à-dire une forme de satisfaction parmi d autres !
Freud avait abordé la question de la sublimation ( 1910 ) avec son étude sur léonard de VINCI où il précise que « le travail créateur
d un artiste est en même temps une dérivation de ses désirs sexuels » p 143 .Chez léonard « c est une bien faible part de libido qui restera
orientée vers des fins sexuelles et représentera la vie sexuelle atrophiée de l adulte » - étiolement de sa sexualité limitée à une homosexualité
platonique mais en lieu et place , une curiosité intellectuelle aiguisée . C’est l’ histoire oedipienne qui surplombe chez FREUD la position
sublimée de Léonard ( 2 mères ; l’arrachement à CATARINA sa génitrice à l âge de 3 ans ;son attachement à sa jeune belle-mère , l’ épouse
de son père ;la tendresse excessive de son accaparante mère ). Avec l’analyse célèbre du fantasme du milan ( vautour qui frappe de sa queue
la bouche du jeune léonard ) c’ est là que Freud articule ,au plus près, la sublimation au fantasme. Pour autant il ne cache pas que l’essence
de la créativité artistique est psychanalytiquement inaccessible !
Lacan reprendre le cas de léonard dans le séminaire iv avec la formule « léonard –en-miroir ».Il évoque « la figure de la mort , qui est
le dernier Autre absolu » , altérité essentielle , remplacée « par une relation de mirage ,c est cela qui s’appelle la sublimation » p431
Il semblerait que la figure de la mort soit à la fois source de la créativité et étiolement de la sexualité de Léonard .
Avec le séminaire VII , la sublimation comme élévation des valeurs ( le BEAU , le BIEN ,la VERITE ) et l idéalisation (comme exaltation ,
surestimation de l’ objet sexuel ) se rejoignent . L’ objet imaginaire ( renvoyant à l’ image spéculaire (i(a)) qui renferme l objet a ) masque
également la béance interne de la CHOSE , véritable trou de structure . Das DING ,la chose , est défini comme le lieu d une jouissance
mortifère qui nécessite forçage ou transgression pour s en approcher ! DAS DING apparait comme un ersatz de ce que représentait la MORT
dans le séminaire IV . Lacan donne là une autre définition de la Sublimation : « élever un objet à la dignité de la CHOSE » Sublimer ,
c est trouver un mode de jouir avec le Réel de la CHOSE sous la forme non plus du forçage mais d’ une aufhebung ( élévation ).
Ainsi l’ idéalisation est un voile qui recouvre la Chose ; l’ objet imaginaire tenterait de recouvrir le VIDE de la Chose alors que la sublimation
métaphorise ce VIDE : création ex nihilo ! Le vide est premier , l’ objet ne fait que le révéler . La Chose , irreprésentable , ne peut , alors ,
être évoquée que par un objet incarnant un vide . Paradoxe : un vide va venir représenter la CHOSE innommable ! telle , serait l essence de
la sublimation ! Lacan prend l exemple du vase , des boites d allumettes et paradigmatiquement de la Dame de l amour courtois .C’ est toujours
représenter das DING par , eine Sache ( un objet de l’ Umwelt , objet imaginaire incluant un vide ,se substituant à l’ insaisissable ,
l’ innommable , de ce pur REEL qu’est la CHOSE )
Un vide va tenter de combler un trou , pourrions nous dire ! Dans le séminaire VII le vase comme objet fait ainsi apparaitre le trou qui
est premier : le potier crée le vase autour de son vide c'est-à-dire le crée : ex nihilo ; à partir du trou qui était déjà là .( c’est ce même trou
qui crache les signifiants dira Lacan par la suite ) . Le vase renferme un vide ; il est fabriqué pour faire apparaitre le vide qu’il circonscrit et
le fait surgir alors qu’il était déjà là (p 146 ) Lacan de ce trou fera le point d’origine de la parole : parler est déjà une sublimation
( le nom du père en émane )
On peut extrapoler que l’opération de sublimation précise qu’il y a un vide dans l AUTRE ( S(A barré ) La sublimation serait le circuit
en retour , dans le graphe du désir , à l’étage supérieur , de la pulsion vers S(A barré ) ; soit , la ligne de la jouissance à la castration et retour .
Dans ce séminaire VII , le paradigme de la sublimation est l’ amour courtois où la dame inapprochable prend valeur d incarner la Chose ( p133 )
« la femme idéalisée , la Dame ,qui est dans la position de l AUTRE et de l’ objet se trouve soudain … mettre dans sa crudité le vide d’ une chose
qui s’ avère dans sa nudité ,être la chose, la sienne ,celle qui se trouve au cœur d’ elle-même dans son vide cruel » p 193. La dame ,objet narcissique ,
imaginaire ,n est pas recherché comme tel mais vaut par l’ impossible à être atteint ( comme l’ hystérique faisant rater un rapport sexuel pour maintenir
l’illusion de son possible ) L’amour courtois « c’est une façon de suppléer à l’absence de rapport sexuel en feignant que c’est nous qui y mettons
obstacle »p 65 séminaire ENCORE .Mais , au delà , on peut soutenir que c’ est la beauté de la dame ( imaginaire )qui recouvre le pas-tout de la féminité
( le Réel de LA FEMME ) Soit : un manque recouvre un autre : Une femme recouvre le vide de la Féminité et s’ en fait le symbole
( position subjective de la femme pas-toute : différence avec la femme objet imaginaire )
Ce séminaire VII essentiel quant au problème de la sublimation traite de l ART comme organisation du VIDE ; Lacan évoque la peinture
« comme ce qui vient à la place du vide » et l architecture comme « créatrice de vide » et organisation autour d un vide
Avec le séminaire XI, Lacan tente de résoudre l’ énigme de la sublimation freudienne en posant l’ écart existant entre le sexuel et la pulsion (la jouissance ) .
La sublimation serait la ligne de démarcation du Sexuel d’ avec la jouissance auto érotique de la pulsion. Le sexuel relève du champ de l’ Autre , du désir ;
la pulsion relevant de la jouissance qui est de l’UN , du S1 , antérieur à la concaténation signifiante . La pulsion ne vise qu’ à SE satisfaire sous un mode
autistique ; c est l’amour qui permet à la jouissance de condescendre au désir ! Mais pour LACAN, il n y a pas de pulsion génitale rassemblant les pulsions
partielles ( ce qui lierait sexuel et pulsion ) ; les pulsions sont partielles et le pulsionnel est bordé par le sexuel .Ainsi donc ,si la sublimation révèle le REEL
de la Structure , elle mi-dit aussi l’ impossible du rapport sexuel ( par cet impossible à nouer pulsion et sexuel et par l’absence de pulsion génitale )
Avec le séminaire XX Encore, la sublimation n est plus un problème à partir du moment où langage et jouissance ne sont plus exclusives et où le signifiant
est , à la fois ,cause , moyen et limite à la jouissance « la sublimation est une jouissance de plein exercice » . De plus, toute réalisation s avère, en fait , être
une sublimation , car toujours elle désigne un côté du but inatteignable du rapport sexuel , nous dit Lacan..Dans cette logique das Ding n’est plus
l’ inatteignable , nécessitant un forçage ou une transgression ( Antigone et l’entre-deux-morts ) ou encore une machination érotique (Sade qui vise le réel
de l être au-delà de la beauté des victimes, et tente de combler cette faille de l’Autre ) mais se réfère à l’impossible .
A noter qu ’ après le séminaire « d’un Autre à l’autre » , séminaire XVI , LACAN n’utilise plus le terme de sublimation et , il énonce pour la première fois
le non rapport sexuel (1969 ) Pas de pulsion génitale , donc , et le ratage est de structure ( le Sexuel est en partie inconscient ; la jouissance est auto érotique ,
d’où une impossible liaison entre pulsion et sexuel ) Si l’un relève du champ de l AUTRE , du désir de l’Autre , et l’autre du REEL de la jouissance , alors ,
la sublimation démontre cet inconciliable et révèle l impasse du Sexe .
.Dans ce séminaire XVI Lacan prend le modèle de la Vacuole ( un Vide contenant l’objet a ) .L’ objet a est ce qui chatouille DAS DING par l ’intérieur
dit il « . C’est ce qui fait le mode essentiel de tout ce qu’on appelle œuvre d’art » ( p 232 ) Il prend , là , l’exemple du grelot où la limaille de fer à l’intérieur ,
permet le son .On perçoit que l’objet en question , implicitement évoqué , est l’objet voix . Ainsi le DIRE prend alors valeur de sublimation et l’ Homme
sublime en parlant ! La pulsion est un concept limite du corps et du Dire ; elle est « l’écho dans le corps du fait qu’il y a un Dire » séminaire XXIII
Dans son dernier enseignement , LACAN utilise le terme « d’escabeau » écrit SKbo ou SK beau .La modification est épistémologique ; nous sommes
passés au temps du parlêtre ( le corps parlant ). Si la sublimation est de l’ordre de l’aufhebung (HEGEL ) , d’ une élévation , en 1975 , avec JOYCE ,
l’SKbeau désigne le piédestal « pour se faire beau , pour s’élever soi même » et s’égaler à la dignité de la Chose .
On peut dire aussi que le dernier enseignement de LACAN remplace , sublimation ,sujet barré ,et symptôme , par SKbo ,parlêtre et sinthome.
On peut alors distinguer ( séminaire XXIII ) : -l’SKbo côté jouissance de la parole incluant le sens ( terme qui rapproche sublimation et symptôme )
-le sinthome , côté jouissance qui exclut le sens . Joyce ayant pu faire converger SKbo et sinthome par son travail
d écriture hors sens a réussi à faire de son symptôme une sublimation .
Mais le point qui me parait le plus important , c’est que Lacan va surtout s’interésser au Trou et moins à ce qui s’en échappe , qui en sort .La sublimation ,
version escabeau , si ,elle réintroduit l’Autre comme lieu de la parole , repense essentiellement le statut du corps . .CE n’est plus le corps du stade du miroir ,
enveloppe imaginaire , gestalt décerné par l’Autre , mais le corps comme « sac et cordes » comme trique , le corps torique troué; c’est le corps décerné
par l’ intrusion des signifiants , produit du DIRE ( des S1 de la Lalangue , non articulés à la chaine signifiante ) séparant définitivement le corps de l organisme
.Avec l’escabeau ,la visée devient le REEL ; L’escabeau , c’est la sublimation plus le narcissisme freudien .A propos de JOYCE , Lacan ne parle pas
de sublimation mais de Sinthome , alors même , que sa production littéraire lui a permis de restaurer son nœud borroméen défaillant .
La sublimation , version SK bo , pose le corps comme TROU , avons-nous dit . « Ce corps LOM croit qu’il l’a ,mais en réalité , il ne l’a pas car son corps
fout le camp à tout instant » dit LACAN (séminaire XXIII p 66 ) Dans sa conférence de NICE ( 1974 ) il écrit « l’ homme aime son image comme
ce qui lui est le plus prochain c'est-à-dire , son corps . Simplement son corps il n’en a aucune idée . Il croit que c’est moi chacun croit que c’est soi… .
c’est un trou et puis au dehors , il y a l’image et avec cette image il fait le monde » Comment mieux dire que la représentation du monde , la Weltbild
( Heidegger ) , ou bien , le monde comme représentation ( Schopenhauer ) , est création ex nihilo , création à partir du trou , est une sublimation ?
Il faut saisir , par là , que le corps , comme trou , est premier ; la représentation du monde comme croyance en découle .
La sublimation pourrait être , aussi , en tant que l’un des 4 destins de la pulsion ,la réponse à la question de savoir : comment vivre la pulsion une fois
le fantasme fondamental traversé ( soit : la fin de l’analyse ). Dans le séminaire XI ( p 246 ) Lacan semble faire de la sublimation une modalité de
la position de l’analyste , si , conjointement à l’émergence du désir de l’analyste ,le soucis de transmission et l’escabeautisation , l’ ouverture
dans le champ social ( l’outre-passe ) en découlent .
On peut , enfin , à partir de là , en déduire une ETHIQUE , et une Praxis orientée vers le REEL .
Jean-claude AFFRE , psychanalyste .