14 décembre 2024, Gérard Mallasssagne, "À quoi se fier ?"
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Espace Sétois de Recherche et de Samedi 14 décembre 2024
Formation en Psychanalyse (E.S.R.F.P.)
Centre Hospitalier du Bassin de Thau
Gérard Mallassagne
À quoi se fier ?
« La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien
sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que
vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que
vous pourriez supporter cette histoire ; néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du
comble, c’est que vous n’en êtes pas sûr.1»
– Je vous le demande, qu’est-ce qui n’est pas un acte de foi ?
Jacques Lacan : C’est ça qu’il y a d’horrible, c’est qu’on est toujours dans la foire.
– J’ai dit « foi », je n’ai pas dit « foire ».
Jacques Lacan : C’est ma façon de traduire « foi ».
La foi, c’est la foire. Il y a tellement de fois, de fois qui se nichent dans tous les coins, que
malgré tout, ça ne se dit bien que sur le forum, c’est-à-dire la foire.2
Ce petit dialogue se tint à Rome en 1974, Lacan répondait à des journalistes italiens.
Foi, croyance, certitude, quelle différence ?
« Nous sommes encombrés…de l’idée de la vie. C’est une idée comme ça. Il est assez curieux
que Freud a promu l’Éros, mais que, malgré tout, il n’a pas osé l’identifier tout à fait à l’idée
de la vie, et qu’il a tout de même distingué la vie du corps et la vie en tant qu’elle est portée
par le corps dans le germen. Malgré l’usage, si l’on peut dire, qu’en fait Freud, il y a quelque
chose avec quoi la vie n’a rien à faire, et qui passe pour être son antinomie, à savoir la mort.
Quoi qu’on en pense, la mort, c’est purement imaginaire. 3»
• En médecine, le mot « corps » s’apparente davantage à sa variante anglaise, « corpse »,
qui signifie « cadavre ».
1) Paradoxe, de la croyance au délire
Paradoxe : le mot vient du grec – littéralement : à côté, contre l’opinion (doxa). Alors, à côté
ou contre la doxa ? Comment lire le contre de la bonne manière ?
1 Lacan J., Ce texte est celui de la bande enregistrée de la conférence de Jacques Lacan donnée à la grande rotonde
de l’université de Louvain, le 13 octobre 1972. Nous avons cependant noté des différences par rapport à la cassette
vidéo que nous avons signalées. Nous utilisons dans ce fichier des notes numérotées (et non avec des astérisques).
Paru dans Quarto (supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981, n° 3, pp. 5-20.
2 Lacan J., Le triomphe de la religion précédé de Discours aux catholiques, Paris, Seuil, 2005, p. 95-96.
3 Lacan J., Extrait du discours de clôture des Journées d’études des cartels de l’École freudienne de Paris, le 13
avril 1975
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Lacan, en 1975, répondait ainsi : « Tout le monde est religieux, même les athées. Ils croient
suffisamment en Dieu pour croire que Dieu n’y est pour rien quand ils sont malades.
L’athéisme, c’est la maladie de la croyance en Dieu, croyance que Dieu n’intervient pas dans
le monde. Dieu intervient tout le temps, par exemple sous la forme d’une femme. Les curés
savent qu’une femme et Dieu c’est le même genre de poison. Ils se tiennent à carreau, ils glissent
sans cesse. Peut-être l’analyse est-elle capable de faire un athée viable, c’est à dire quelqu’un
qui ne se contredise pas à tout bout de champ.4»
Apposer croyance à délire, fait paradoxe au regard de la doxa freudienne – qui elle, oppose
croyance et délire. Dès 1896, dans son manuscrit K et aussi dans sa lettre à Fliess n°98, dans
laquelle figure le terme d’Unglauben - absent du manuscrit K - Freud réserve le terme de
croyance (Glaube) à la névrose ; qualifiant « d’incroyance » (Unglauben), la réponse
paranoïaque5. Pour Freud, die Glaube n’implique pas seulement l’élaboration langagière ; la
croyance concerne la division du sujet, dont témoigne le reproche (Vorwurf) : « croyance au
reproche », écrit Freud, « rejetée » (versagt) dans la paranoïa.
Deux modes de réponse (Glaube et Unglauben), seconds, l’un et l’autre, à une existence ayant
« le caractère de l’intraduisible (der Charakter des Unübersetzten) », écrit Freud. Intraduisible,
et surtout pas reste intraduit − comme le propose, hélas, la traduction PUF.
2) Le reste
Le « reste 6», c’est l’objet perdu freudien, inhérent au choix de la croyance : verloren Objekt,
second à l’existence d’Un, transclinique, « intraduisible ». D’où le dire de Lacan dans «
L’Étourdit » (1972) : « Le sujet, comme effet de signification, est réponse du réel. ». Inclure
le délire dans le champ de la croyance n’est donc pas seulement faire pâlir la clinique
psychiatrique qui oppose croyance (névrotique) à conviction délirante (psychotique) ; c’est
subvertir la doxa freudienne elle-même !
Paradoxe, donc : affine au « tout le monde délire » affirmé par Lacan en 1978, à partir du
résultat de son expérience de la psychanalyse. Le névrosé, lui aussi, aime ses élucubrations
langagières comme lui-même. Au point que, selon Freud, il finisse bien souvent par aimer
également son symptôme, son « versant organisé » venant couvrir un réel « en-corps », qui ek-
siste à l’interprétation la plus rigoureuse, permise par l’hypothèse structurale de l’inconscient.
Au moment où Lacan aborde le phénomène psychotique et son mécanisme dans le Séminaire
III 7, il signale combien le sujet psychotique ne croit pas à ses hallucinations. Le rapport à celles-
ci prend plutôt la forme de la certitude, dans son commentaire de l’Unglauben freudien. Cela
concerne le rapport que le psychotique entretient à la certitude vis-à-vis de ses hallucinations et
de son délire. L’Unglauben ne nomme pas l’incroyance à ces phénomènes, ne désigne pas
l’opposé à la croyance, comme le souligne Lacan dans le Séminaire III, mais plutôt quelque
4 Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet n°6-7, Seuil, p. 32.
5 Freud S. se sert ici de la clinique psychiatrique, non pour la compléter, mais pour s’en passer de la bonne
manière, il l’éclaire à partir du dérangement singulier isolé dans sa propre expérience de la psychanalyse.
6 En allemand : der Rest.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre III, « Les psychoses » (1955-1956), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil,
1981.
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chose qui se situe dans le registre de la certitude. Bien que personne d’autre n’entende ce qu’il
entend, les voix lui parlent et s’adressent à lui. Il y a donc certitude de l’hallucination et certitude
du délire, qu’il existe bel et bien un complot cherchant à nuire au sujet, dont il trouve les signes
inéquivoques autour de lui.
Cette certitude est radicale. Elle occupe l’ensemble de l’expérience du sujet et elle intègre des
éléments épars et hétérogènes pour les associer aux éléments du délire. Si le délire peut être
critiqué et reconnu même en tant que délire, rien ne peut ébranler ni mettre en question la
certitude qui se trouve à sa base.
3) Tout le monde délire
Nous pouvons nous demander ce qu’il reste de la croyance dans le paradigme du dernier
enseignement de Lacan, où le sens est forclos pour l’être qui parle, Lacan renvoyant à la «
j’ouis-sens », c’est-à-dire au sens joui pour chacun et au fait donc que « tout le monde délire ?»
Paradoxalement, Lacan s’intéresse à la croyance dans son dernier enseignement sous la forme
de croire à. La croyance y est associée au réel, par exemple dans croire à ses hallucinations et
à son délire, sous la forme non seulement de les croire, mais aussi d’y croire. La même formule
s’applique pour la croyance à sa femme sous la forme d’y croire plutôt que de la croire. Dans
ce cas, il s’agit de croire à elle en tant qu’elle se tient à la place de son symptôme et non pas de
la croire, de croire à ce qu’elle dit 8.
Croire à son symptôme qui dit une vérité sur lui, il faut cette croyance pour commencer une
analyse, pour analyser ses symptômes. Cette croyance, qui s’appuie ici sur la vérité présente
dans les symptômes, ce qui donne une dimension symbolique à la croyance, va s’estomper dans
le progrès de l’analyse à mesure qu’on approche le noyau de jouissance présent dans le
symptôme, au fur et à mesure que la dimension réelle du symptôme, sa jouissance s’imposera
dans l’analyse.
La croyance porte ici sur la dimension symbolique des symptômes au début de l’analyse, sur la
possibilité de pouvoir en extraire une ou des vérités. Lorsque l’analyse avance, cette croyance
va se déplacer vers la dimension réelle du symptôme, vers sa fonction de loger une satisfaction
au détriment de l’accès à la vérité à laquelle le symptôme pourrait donner lieu. Le symptôme
ainsi abordé se propose comme un reste qui assure le nouage Réel Symbolique et Imaginaire
dans sa fonction de sinthome. En fin d’analyse, s’il y a quelque chose à laquelle on croit, c’est
bien au sinthome obtenu par l’analyse elle-même. Le déplacement s’opère donc du symbolique
au réel et on retrouve donc la croyance rattachée à présent au noyau de jouissance irréductible
isolée dans l’analyse.
Lacan dira du psychotique qu’à son délire, à ses voix, non seulement il y croit, mais qu’il les
croit. Il s’agit à ce moment de montrer la différence entre la névrose où le sujet croit à son
symptôme, c’est-à-dire croit qu’il veut dire quelque chose, et la psychose où le sujet croit ses
voix. Croire à son symptôme qui dit une vérité sur lui, il faut cette croyance pour commencer
une analyse, pour analyser ses symptômes.
8 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « RSI », Séance du 21 janvier 1975, Ornicar ? n° 3, mai 1975, p. 109-110.
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Croire devient donc croire au réel. Cela peut paraître empreint d’un certain paradoxe, car on
pourrait penser que la croyance intervient comme réponse à un phénomène d’incertitude, la
barre sur l’Autre, par exemple, dans la croyance religieuse où il s’agit de restituer une
complétude à l’Autre sous la forme de Dieu, là où l’on sait sciemment qu’il est barré.
4) Une orientation vers le réel, la jouissance féminine
Dans son cours de 2011, « l’Être et l’Un », (16 et 23/03/2011) Jacques-Alain Miller affirme
que ce qui a ouvert la porte au dernier enseignement de Lacan, c’est la jouissance féminine,
jouissance supplémentaire à la jouissance phallique, que certaines femmes éprouvent dans le
corps sans pouvoir en dire quoi que ce soit. Lacan avait tout d’abord appréhendé cette
jouissance par rapport à la jouissance masculine avant de la généraliser, jusqu’à en faire le
régime comme tel de la jouissance. Lors de la leçon du 2 mars 2011, J.-A. Miller déplie pas à
pas ce renversement chez Lacan, « la jouissance comme telle, c’est la jouissance non
œdipienne, la jouissance conçue comme soustraite, comme en-dehors de la machinerie de
l’Œdipe. C’est la jouissance réduite à l’évènement de corps ».
5) De la jouissance œdipienne à la jouissance du corps propre
La jouissance œdipienne, J.-A. Miller la définit comme « la jouissance qui répond au Nom-du-
Père, qu’on écrit n.o.m mais qui contient […] un non, n.o.n ; elle est permise dans la mesure
où elle passe d’abord par un interdit, par le non de l’interdit ». Il explicite son propos en se
référant au texte « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien »,
dans lequel Lacan dit que « la castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour
qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir ». Il isole aussi une autre
phrase de Lacan dans ce texte : « la jouissance est interdite à qui parle comme tel, ou encore
qu’elle ne puisse être dite qu’entre les lignes pour quiconque est sujet de la Loi, puisque la Loi
se fonde de cette interdiction même ».
Au début de son enseignement, la Loi est pour Lacan la Loi du langage, la Loi du Nom-du-
Père, qui dit non à la jouissance pour que se constitue le désir. Le langage ordonne, régule,
limite la jouissance, et transforme cette limite « naturelle », en une loi qui s’inscrit dans le
registre de la culture. Les interdictions témoignent de cette loi du désir : on ne désire que ce qui
est proscrit, et la jouissance tient à leur transgression. Le langage rime ici avec la castration.
Dans son texte, « La pulsion est parole », J.-A. Miller précise les contours de cette jouissance
négativée par la loi du désir. La loi du désir dit-il « c’est la loi du désir de l’Autre, c’est celle
qui impose de renoncer à la jouissance solitaire pour, dans la relation à l’Autre, reconquérir
une autre forme de jouissance, et pour conquérir ce qui pourrait être la jouissance sexuelle, en
tant qu’opposé à la jouissance phallique, la jouissance de l’Autre sexué ». La jouissance
négativée par la loi du désir, par le Nom-du-Père, c’est la jouissance phallique, que Lacan
qualifie de « jouissance de l’idiot » dans son Séminaire Encore lorsqu’il parle de la
masturbation chez l’homme. L’interdiction, portée à cette jouissance du corps propre, oblige
donc l’être parlant à devoir en passer par la relation à l’Autre, par le discours, pour retrouver
un gain de jouissance, un plus de jouir. Dans le Séminaire Encore Lacan définit le phallus par
la jouissance phallique. L’essentiel, dit-il, « n’est pas que le phallus soit un signifiant, mais
qu’il soit une jouissance, et même le modèle de la jouissance. Le phallus est le modèle de la
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jouissance en tant que, pris dans l’idiotie de la pratique qui s’y rapporte, il incarne le non-
rapport à l’Autre. Dire que la jouissance est phallique, foncièrement, c’est dire qu’elle est celle
de l’idiot, c’est-à-dire – comme on l’a nommée depuis toujours – elle est solitaire ».
Cette formule est déjà une esquisse de ce qui trouve sa frappe dans l’axiome : « Il n’y
a pas de rapport sexuel ». Si la pulsion, en tant qu’elle représenterait la sexualité
dans l’inconscient, n’est que pulsion partielle, c’est dire que l’accès à l’Autre du
sexe opposé ne se fait par aucune voie unitive, globale, qui est inexistante au niveau
de la pulsion. Cet accès ne se fait que par cette voie des pulsions partielles.
Lacan passe donc d’une élaboration axée sur la jouissance œdipienne, c’est-à-dire une
jouissance qui passe par l’Autre, par la castration, à une conception de la jouissance, solitaire,
et portant sur le corps propre. Dans « Les six paradigmes de la jouissance », J.-A. Miller précise
que « la démonstration de Lacan, c’est que toute jouissance effective, toute jouissance
matérielle est jouissance Une, c’est-à-dire jouissance du corps propre. C’est toujours le corps
propre qui jouit, par quelque moyen que ce soit ». Le lieu de la jouissance, ajoute-t-il, « est
toujours le même, le corps. Il peut jouir en se branlant ou simplement en parlant. Du fait qu’il
parle, ce corps n’est pas pour autant lié à l’Autre. Il n’est qu’attaché à sa jouissance propre, à
sa jouissance Une ». Aux aphorismes « Y’a d’l’Un » et « il n’y a pas de rapport sexuel »,
princeps du dernier Lacan, nous pourrions y ajouter « il y a la jouissance du corps ». Tous,
témoignent de ce non-rapport entre la jouissance et l’Autre. Cette disjonction rend compte de
pourquoi J.-A. Miller affirme que Lacan a généralisé la jouissance féminine au régime comme
tel de la jouissance. Avec cette jouissance supplémentaire, qui ne passe pas par le langage, qui
n’est pas susceptible de castration, Lacan a pu dégager la jouissance des registres imaginaire et
symbolique, et l’orienter vers le registre du réel.
Dans son cours « L’Être et l’Un », dans cette même leçon du 2 mars 2011, J.-A. Miller avance
que de part cette nouvelle orientation, Lacan invite la pratique analytique à se centrer sur
la jouissance comme évènement de corps c’est-à-dire échappant à la dialectique de
l’interdiction-permission.
• JAM : « Il n’y a pas de rapport sexuel », signifie : Il y a ratage sexuel – au sens où
l’objet n’est jamais le bon, plus précisément au sens où le sujet n’accède en tant
qu’incarné jamais à ce niveau de l’Autre sexe. Il y a là comme un exil, une barrière. Au
niveau de la jouissance, en première approximation – c’est une sorte de point de départ
– l’Autre n’existe pas.
6) La jouissance comme évènement de corps
Cette approche de la jouissance, comme évènement de corps, met l’accent sur le corps, et plus
particulièrement sur les effets de jouissance que produit le langage sur celui-ci. Le corps de
l’être parlant est marqué, dérégulé par la langue. Ces traces de discours, qui s’inscrivent sur le
corps, ont valeur d’évènement, de choc, de traumatisme car elles provoquent un déséquilibre
permanent, un excès d’excitation qui ne se laisse pas résorber. La régulation du principe de
plaisir est alors inopérante. Dans son texte « Biologie Lacanienne et évènement de corps », J.-
A. Miller explique que le même organisme doit supporter deux corps distincts, deux corps
superposés. D’un côté, un corps savoir, le corps qui sait ce qu’il faut pour survivre, le corps
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épistémique, le corps qui sait ce qu’il faut, et de l’autre côté, le corps libidinal. « D’un côté, le
corps plaisir qui obéit, et de l’autre côté, le corps jouissance, dérégulé, aberrant, où s’introduit
le refoulement comme refus de la vérité et de ses conséquences 9». J.-A. Miller prend l’exemple
de l’œil, qui normalement doit servir au corps à s’orienter dans le monde. Mais, lorsque cet
organe est sexualisé, par exemple dans le plaisir de voir, il cesse d’obéir au savoir du corps,
pour devenir le support d’un « se jouir ». C’est un plaisir, dit-il, qui devient alors jouissance car
il déborde le savoir du corps et la finalité vitale. La cause de cette dérégulation du corps savoir,
de ce corps jouissance, provient du fait que le corps est habité par le langage. C’est le signifiant
qui cause la jouissance et qui provoque que le corps soit le support d’un « se jouir ». Comme il
le précise : « l’affection essentielle c’est l’affection traçante de la langue sur le corps. Cela veut
dire que ce n’est pas la séduction, ce n’est pas la menace de castration, ce n’est pas la perte
d’amour, ce n’est pas l’observation du coït parental, ce n’est pas l’œdipe qui est là le principe
de l’évènement fondamental, traceur d’affect, mais c’est la relation à la langue ».
Cette nouvelle orientation épure les registres imaginaire et symbolique en s’approchant
d’une opération qui a eu lieu entre la langue, le corps, et la jouissance. Ce qui compte,
avant tout effet de signification ou de sens, c’est la marque de jouissance que produit le
langage sur le corps, et les effets même de cette répétition du Un de jouissance, qui comme
le dit J.-A. Miller, commémore une irruption de jouissance inoubliable 10.
Cette répétition de jouissance, hors sens, est le noyau du symptôme, dont se plaint le sujet.
J.-A. Miller la qualifie d’addiction, au sens où chaque répétition ne peut s’additionner, se
comptabiliser. La vérité inconsciente en devient un masque de cette jouissance pulsionnelle et
auto-érotique. Auto-érotique, car la pulsion ne fait que retour sur elle-même. Aucun objet ne
peut la satisfaire, arrêter le circuit pulsionnel. J.-A. Miller donne comme exemple le cas de
l’obsessionnel : « Au fond, ce que Lacan indique au contraire, c’est que le père, le grand I de
l’idéal du moi, au fond ce ne sont que des fictions. Ce sont des fictions qui permettent de
méconnaître ce qu’il y a à la racine qui est la présence du regard. Le réel de symptôme
obsessionnel, ce n’est pas le père. Ce n’est pas l’idéal du moi. Le réel de symptôme obsessionnel
que Lacan nous invite à atteindre, c’est le regard. L’idéal et le père sont dérivés du regard. »[16]
Le « Un de jouissance » préside donc à tout discours et à tout ce qui est du registre de l’Autre,
lieu de la parole et d’être. Toujours dans « l’Être et l’Un », J.-A. Miller propose un apologue
pour expliquer ce Un originel, antérieur à toutes constructions signifiantes : « il y a d’abord le
réel et […] s’ajoute ensuite, se surajoute le signifiant […] et c’est avec le signifiant que
commencent […] les embrouilles du désir, les embrouilles de l’interdit, les embrouilles de
l’Œdipe, parce qu’à la racine, le signifiant vient percuter le réel, il vient percuter les corps. Et
chez le parlêtre, ce choc initial, ce traumatisme introduit une faille qui est aussi bien le phallus,
qui est aussi bien la faute, le péché ». Cet apologue illustre la pensée novatrice de Lacan sur le
langage et le corps, constitutive de son dernier enseignement. Dans son Séminaire « Le
Sinthome », Lacan définit la parole comme un parasite, un cancer dont l’être humain est
affligé 11. Le corps se jouit, n’en fait qu’à sa tête, et ce, à l’insu du sujet. Ce corps étranger est
donc du côté de l’avoir et non de l’être. Il n’est plus considéré uniquement selon sa forme, son
9 Miller J.-A., « Biologie lacanienne et évènement de corps », La Cause freudienne, n° 44, février 2000, p. 33.
10 Miller J-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », op.cit., cours du 18 mai 2011.
11 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, « Le sinthome », texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 95.
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image, comme dans le premier Lacan, mais aussi comme support de la jouissance. L’être parlant
doit ainsi composer avec trois registres disjoints : le corps, le langage et la jouissance. La
pratique analytique ne peut qu’être plus attentive à la façon dont chaque être parlant compose
avec ces trois registres qui l’affectent, et le rendent malade, débile, dit Lacan.
Il faut consentir à un trou dans le savoir – y croire - une perte pour envisager une « promesse
de l’impossible » De l’impuissance à l’impossible, l’Un-possible.
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