Paroles singulières en Méditerranée

Liste des intervenants

Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Dr Jean-louis Doucet
Dr Michel Leca
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr François  Morel
Dr Augustin  Ménard
 Rajaa Stitou
 Jean-Paul Guillemoles
Dr Marie  Allione
 Claude Allione
Professeur Bernard Salignon
Professeur Roland Gori
 Bernard Guiter
Pr Jean-Daniel Causse
 Gérard Mallassagne
 Jean-Claude Affre
Dr Marie-José Del Volgo
Dr Jean-Richard Freymann
Dr Patrick  Landman
 Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Marcel Ventura
Dr Marie-Laure Roman
 Franck Saintrapt
 Lionel Buonomo
Professeur Gérard  Pommier
Dr Arielle Bourrely
  ACF-VD
 Laurent Dumoulin
 Jomy Cuadrado
Professeur Michel  Miaille
 Guilhem  Dezeuze
 Aloïse Philippe
Dr Jean Reboul
Philosophe Jean-Louis Cianni
Dr Bernard Vandermersch
 Eva-Marie  Golder
 Bernard Baas
 René  Odde
 Daniel Nigoul

Fermer

PAROLES SINGULIÈRES EN MEDITERRANEE

À partir de son dernier livre "Fin(s) de cure et fin(s) d’analyse. Une nouvelle psychanalyse"

 

Intervention
de Jean-Richard Freymann
à Sète 

À partir de son dernier livre

Fin(s) de cure et fin(s) d’analyse. Une nouvelle psychanalyse

Toulouse, Arcanes-érès, 2024

 

 

En toute modestie, je voudrais tout reprendre de l’évolution de la psychanalyse, vous dire où je pense qu’on en est aujourd’hui et ce qu’il est possible de faire de nos jours. Dernièrement j’ai sorti un livre avec un titre un peu ambigu Fin(s) de cure et fin(s) d’analyse, dans lequel j’oppose les deux choses. Avant de développer cela, je vais un peu reprendre tout le périple freudien.

Fin de cure et fin d’analyse, ce n’est pas la même chose. D’abord je voudrais préciser que l’on est dans la psychanalyse, on n’est pas dans la psychothérapie. Toute thérapeutique sert de psychothérapie… tout marche… mais ça ne marche pas longtemps… Pour toute une jeune génération, tout ce qui est érotique ne l’intéresse pas, à l’inverse des soixante-huitards à l’époque. C’est vrai qu’il y a une grande modification : le rapport au langage a complètement changé. Je le dis un peu anecdotiquement mais moi qui ait été formé par les grands maîtres, Lacan, Israël, Clavreul, Mannoni… tout cela est fort dépassé. Je crois que le plus souvent ce qui est en train de se passer c’est qu’on est obligé d’apprendre aux gens à parler… nous sommes des orthophonistes, nous apprenons aux gens à parler. À l’heure actuelle, il arrive exceptionnellement – je ne dis pas aux gens qu’ils vont commencer une psychanalyse, même s’ils viennent pour ça –, ça conduit à un nouveau monde et cela vous allez le repérer dans votre pratique. Il y a un premier temps qu’on appelait avant, avant qu’on mette en place une cure psychanalytique, ce qu’on appelait des entretiens préliminaires, et maintenant vous êtes obligé de penser à des entretiens préliminaires d’entretiens préliminaires pour en arriver à l’analyse. Vous n’allez pas directement vers la question de l’inconscient. Le problème est là, l’inconscient n’intéresse pas grand monde. Ce qui veut dire que, avec les patients, il y a tout un travail préliminaire qui est un temps d’échanges, apparemment très banals, qui passent par une espèce de discussion, chacun à sa parole… et qu’à partir de cela, il y a quelque chose qui se met en route qui est ce qu’on appelait les préliminaires, c’est-à-dire qu’on commence à toucher un peu aux questions de symptômes et à partir de là il y en a certains qui pourront entreprendre une analyse proprement dite et d’autres qui vont se contenter de faire une psychothérapie.

En fait ce qui me frappe en ce moment, c’est qu’il y a plutôt un regain de l’analyse contrairement à tout ce qui est raconté. Moi qui suis à Strasbourg, à la Clinique psychiatrique ils ont des techniques absolument extraordinaires… mais ils me laissent complètement libre de faire de la psychanalyse. Les gens qui viennent en général maintenant sont des gens qui sont déjà passés par toutes les techniques possibles et imaginables (méditation, hypnose, relaxation, psychodrame…) Il y a même des groupes Balint chez les enseignants avec un psychanalyste… on discute avec les élèves, les chefs d’établissement, les enseignants…

Quand les gens arrivent donc, il y a quelque chose qui se passe du côté de la banalité de la parole, c’est la prise dans le discours courant, là où il y a quelque chose qui s’est développé qui n’existait pas avant. La majorité est du côté du discours… ils vous racontent des banalités. Et le premier travail de l’analyste, c’est d’apprendre à les sortir de ce discours commun, ce qui n’est pas facile. Parce que ce n’est pas du côté de l’interprétation, ce n’est pas obligatoirement du côté de l’injonction, ce n’est pas obligatoirement la règle fondamentale qu’on va utiliser tout de suite. La règle fondamentale, c’est dire tout ce qui vient… après un certain temps on peut arriver à cela et donc les choses commencent. Je suis assez étonné car j’ai des gens que j’avais en traitement il y a une cinquantaine d’années qui reviennent me voir pour un certain nombre de séances, qui poursuivent le travail qu’ils avaient fait à l’époque, non pas en se répétant mais cinquante ans après ils continuent le travail qu’ils avaient entamé. Ils font une espèce de bilan de ce qui a été leur vie et ils continuent… c’est très étonnant. Il y a quand même quelque chose qui tient à la découverte de l’inconscient qui fait que quelque chose se poursuit malgré nous. Ça continue, dirait Freud !

Freud lui-même écrit cela, dans l’Abrégé de Psychanalyse. Cela prouve que la découverte de l’inconscient est véritablement une découverte. Mais ce n’est pas à la mode parce que ça ne va pas très vite. Ce que je repère, c’est que j’ai des gens en analyse de tous les horizons et de tous les peuples : c’est parfois assez drôle en salle d’attente avec un arménien, un pasteur, un curé, un juif… mais ils se parlent ! Je pense qu’il y a quelque chose qui est en train de se modifier, c’est le rapport à la religion… c’est quelque chose à retenir, ça s’est modifié, il y a ceux qui sont carrément dans des sectes, d’autres qui ont des positions individuelles par rapport à la religion, d’autres qui vont dans des communautés, mais ça fonctionne un peu différemment ; ça ne joue pas tellement dans la question analytique elle-même, c’est plutôt singularisant, ils sont dans leur singularité concernant leur religion. Alors il y a en ce moment des problèmes que je suis incapable de régler : je vois des pasteurs protestants français qui s’engueulent avec les pasteurs suisses ; je vois aussi arriver des juifs intellectuels qui font de l’analyse. On voit la sphère politique se jouer, on pourrait dire, à petite échelle. Avant, quand on était du côté de l’analyse, on était plutôt du côté de l’athéisme. Freud était soi-disant athée… il y aurait des choses à dire sur cela. Il faut savoir que le père de Freud n’étudiait pas les textes mais son grand-père étudiait.

Freud s’ennuie avec les médecins à Vienne et tout à coup il se met à faire de l’hypnose qui, à l’époque, était quand même à la mode : c’est l’hypnose de Charcot, l’hypnose de Bernheim, l’hypnose de Puysségur. Il a commencé à se brancher d’abord sur Breuer avec lequel il n’était d’ailleurs pas d’accord sur la question du traumatisme. Ensuite il a fait un grand transfert sur Fliess (Fliess qui a écrit un livre sur « Le nez et les organes génitaux féminins »). Celui qui commençait à dérailler avec les histoires sexuelles c’était Fliess… ça s’est mal passé. Il y a d’ailleurs un bon livre d’Octave Mannoni sur l’amitié de Freud avec Fliess… On dit que pour Freud c’était une auto-analyse, mais il y avait Fliess quand même… Les procès ont continué, la famille de Fliess accusant Freud d’avoir « volé » les idées de Fliess sur la sexualité. La sexualité n’intéressait pas Freud, passé 40 ans il trouvait cela inintéressant ; il invente l’histoire de la sexualité infantile. Et lui comment il s’en sortait ? C’est Roudinesco qui m’a éclairé sur cette question : il s’occupait des relations de ses collègues, de la sexualité et des relations de ses collègues. Il les interrogeait… bref, ceci est une parenthèse…

Cela étant, il se passe quelque chose qui est un effet de rupture très important. Il faut que vous sachiez que les premiers textes de Freud sont des textes qu’il a lus au B’nai B’rith, c’est-à-dire la franc-maçonnerie juive, parce qu’il était alors totalement rejeté par les médecins… donc quelque chose se passe du côté de la naissance de l’inconscient, c’est ce qui lui permet de trouver une logique à part qui est le déplacement, la condensation et l’hallucination, c’est une logique à part que vous trouvez par exemple dans les rêves, dans la Traumdeutung, c’est pour cela qu’il s’occupe surtout de ses rêves. Là il faut bien entendre que ce n’est pas parce que vous reconnaissez l’existence de l’inconscient que vous reconnaissez l’existence de la psychanalyse. C’est une logique, il découvre une logique. Et alors il a un problème, qui est un problème scientifique, c’est qu’il n’a pas la linguistique, il est donc obligé de créer sa propre grammaire. Bref… ça ne va pas très bien, il n’a pas de patients…

Le deuxième temps, c’est la naissance de la psychanalyse, c’est-à-dire le fait de faire une pratique à partir de cette invention et en particulier l’utilisation de ce qu’on appelle « la règle fondamentale ». La règle fondamentale, c’est un peu compliqué : ce n’est pas seulement la liberté d’association, c’est la liberté d’association plus le désir de l’analyste, plus l’envie de quelqu’un d’analyser, ce n’est pas seulement le laisser-venir. Le laisser-venir, toutes les techniques font cela. On a d’ailleurs édité un numéro d’Apertura, qu’on trouve encore, sur la règle fondamentale. À partir de là va fonctionner la question de la psychanalyse, ce qui n’est pas la même chose. Alors, quel est le but d’une analyse ? C’est quand même quelque chose de très précis : c’est la découverte du désir inconscient par le biais du fantasme. Et il n’y a de psychanalyse que s’il y a levée de l’amnésie infantile. Ça s’est bien développé, tout le monde voulait devenir psychanalyste !

A surgi alors quelqu’un qui s’est mis à lire Freud… c’est Jacques Lacan. Il a étudié la philosophie et il a réussi à introduire quelque chose en tenant compte à la fois de la topologie, de la linguistique, des médecines modernes et il a remis les choses en place à partir de cela.

Qu’est-ce qu’il a inventé en plus ? Il a inventé la question de l’objet. Ce pauvre Freud était très « embouteillé » par la question de l’objet, parce que pour lui l’objet c’était toujours la relation à l’autre. Lacan vient dire : ce n’est pas ça la question de l’objet. Qu’est-ce qui se passe ? Dans le transfert, vous allez déposer dans l’autre des objets partiels, qu’il appelle lui l’objet petit a, qui est quand même l’objet de Lacan (ce n’est pas l’objet de Freud) et c’est important parce que du coup ça change tout. Ça change tout parce que le processus d’une analyse revient à déposer dans l’autre, quand il y a transfert, un certain nombre d’objets, les fameux objets petit a. il va y avoir tout le déroulement de la psychanalyse et en fin d’analyse, vous allez récupérer ces objets que vous avez déposés… si vous les récupérez… ça peut durer longtemps. C’est essentiel parce que c’est vraiment l’objet lacanien, et l’objet lacanien n’est pas l’objet freudien. Si vous allez faire des psychanalyses dans d’autres pays, l’histoire de l’objet petit a n’existe pas. Les freudiens n’utilisent pas cela, ça c’est vraiment un des apports de Lacan qui change aussi la pratique.

Donc vous voyez le titre de Freymann Fins de cure et fins d’analyse, que se passe-t-il en fin de cure… est-ce que ça veut dire qu’en fin de cure vous avez lâché ou récupéré ces objets que vous avez déposés dans l’autre ? La fin de cure, c’est autre chose, la vraie fin d’une cure c’est : qu’est-ce que le fait d’avoir abandonné ces objets que vous avez déposés va permettre ? Qu’est-ce que vous allez créer de nouveau à partir de cela ? Ça a l’air d’une subtilité mais il n’y a que votre génie qui permet de l’entendre. D’un côté que je récupère des objets que j’ai déposés c’est une chose, le fait qu’à partir de cela je vais créer de nouvelles choses, c’est autre chose.

 

Freud a beaucoup travaillé la question du symptôme, et en particulier dans un texte qui s’appelle « Inhibition, symptôme, angoisse », où il différencie inhibition et symptôme. Inhibition, ça a à voir avec le fait « je vais t’embrasser ou pas », le symptôme c’est « je ne veux pas t’embrasser ». L’analyse elle-même part en général des inhibitions. Les gens viennent nous voir pour des inhibitions… et ce que je vous disais tout à l’heure du rapport au langage, la plupart des gens viennent nous voir pour des problèmes d’inhibition (par exemple parce qu’ils ne peuvent pas rouler en voiture…) tandis que le symptôme c’est par exemple la phobie de la voiture… là on est déjà dans un symptôme.

Et là il y a maintenant un moment difficile à suivre. Le sinthome, c’est l’idée que quand vous n’êtes pas capable de constituer un symptôme, vous allez créer ce qu’on appelle un sinthome. Pour ce sinthome, le modèle que Lacan a utilisé, c’est le modèle de Joyce pour l’écriture, justement en montrant que le problème de Joyce a été de ne pas pouvoir arrêter d’écrire, il est obligé d’écrire tout le temps.

Là où il y a une ambiguïté difficile, que j’ai essayé de travailler, c’est : est-ce que cette histoire de sinthome, qui est une espèce de palliatif, est quelque chose qui soigne obligatoirement un défaut de la structure ou, question plus difficile, est-ce que tout le monde est porteur possiblement d’un sinthome ? Lacan est très ambigu face à cette question. Moi je rajouterais que le sinthome est pour tout le monde. Quand j’étais en analyse chez lui, Lacan cherchait le sinthome des gens. C’est quelque chose qui est du côté de l’absurde. Je suis tombé maintenant sur un problème : la question du sinthome, est-ce que ça a à voir uniquement avec des gens comme Joyce ou autres qui ont des défauts importants de la structure pour les tenir, ou au contraire si vous poussez une analyse assez loin, peu ou prou vous allez tomber sur votre sinthome ? Ce n’est pas la même position. Moi je crois que c’est les deux, mais c’est une vraie question actuelle. Ce qui fait qu’il y a des gens qui viennent pousser une analyse très loin dans cette quête du sinthome.

Je suis tombé sur quelque chose qui ne me ravit pas, mais que je crois avoir compris, c’est la différence qu’il faut arriver à faire entre le scénario fantasmatique et une formation faite par les pulsions. Voilà le problème de la modernité de la psychanalyse de nos jours. Alors j’ai trouvé la réponse à cette question dans le séminaire XI, Les formations de l’inconscient. D’abord, qu’est-ce que le fantasme inconscient ? C’est un scénario, comme son nom l’indique, qui est inconscient, et tout le travail d’analyse va être de déchiffrer, de décrypter ce fantasme qui est fait d’un scénario. Safouan disait que c’est toujours un jugement d’impossibilité : par exemple vous avez le fantasme d’être le père du père, ça veut dire que tout ce que vous allez vivre, vous allez le vivre comme ça, vous voulez être le père du père, et donc ça devient le support du désir de la personne. Là on est au niveau du fantasme inconscient. Toute l’analyse, c’est déjà de découvrir quel est ce fantasme inconscient, ce qui n’est pas une affaire facile. On n’est pas dans la psychothérapie, là on est dans la recherche de quelque chose de très précis.

De l’autre côté, puisque l’on travaille ensemble la question pulsionnelle, j’ai découvert que Lacan, quand il parle de scénario pulsionnel, dit que ce n’est pas du tout pareil, dans un scénario pulsionnel, on est plutôt dans une scène surréaliste, c’est-à-dire qui apparaît complètement absurde, ça n’a pas une cohérence logique. C’est étonnant cette histoire pulsionnelle, parce que ça vous permet de comprendre que des gens qui semblent avoir une vie tout à fait normale font à côté des trucs complètement dingues dans leur vie. Lacan différencie véritablement les deux. Il dit que, autant la recherche de l’analyse, c’est le fantasme inconscient et donc le désir, autant au niveau pulsionnel il y a d’abord un problème, parce que Freud dit que la dynamique pulsionnelle est toujours constante, que c’est un montage, comme un collage surréaliste. L’idée serait que, dans un certain nombre de cas, on peut passer souvent des passages à l’acte pulsionnels au scénario fantasmatique. On se pose beaucoup la question des violences, c’est le scénario pulsionnel. D’arriver à mettre des mots là-dessus, c’est toute une opération.

Pour terminer, quelque chose avec quoi je ne suis plus d’accord et pour laquelle pourtant Lacan m’avait cautionné à l’époque… Là je parle du scénario pervers… le scénario pervers ce n’est pas le fantasme, le scénario pervers ça touche le pervers, parce que dans le fantasme on a des choses qui se retournent ; le scénario pervers c’est quelque chose de très figé. Il y a quelque chose de l’automatisme de répétition, on répète toujours le même scénario.

Je vous ai fait parvenir un texte à propos d’un scénario pervers[1] :

« Dans les débuts de son analyse, C. rapporte des rêves d’adolescent : il vit dans un palais merveilleux, il est monarque, il règne surtout sur une femme de son âge, élancée et bronzée, très tendre, qui le vénère. Sa puissance la ravit et il ne connaît plus l’angoisse.

Mais même si sur le divan son bégaiement s’estompe, il se sent de plus en plus révolté par le prix des séances.

Il lui sera alors possible, dans le cheminement de ses associations, de faire état de ''son jardin secret''. C., depuis plusieurs années, ''n’avait trouvé'' qu’un seul moyen de posséder et d’humilier la femme. Il décrit le spectacle de sa propre humiliation : il paie une prostituée, deux fois par semaine, et la regarde déféquer et uriner sur son corps. Après avoir ingurgité des excréments, C. lui demande de ''souiller'' son corps et de badigeonner sa verge. Il ne s’agit pas seulement d’une mise en acte puisque C. exige de sa partenaire qu’elle l’insulte et le traite de ''merde''. Et C. d’ajouter : ''Je dois m’imaginer que je ne suis rien du tout, méprisable, incapable, ne montrant aucun intérêt''. »

Là vous voyez le cheminement du scénario pervers : il faut que ce soit toujours le même. Et ce qui est drôle, c’est que ce scénario il le faisait faire le jour même où il venait aux séances. Ça a assez bien fonctionné jusqu’au jour où il m’a dit : « Je n’ai plus besoin de ce scénario pervers », ce qui m’a beaucoup interrogé. C’est pour cela que je suis allé chez Lacan. Comment devais-je entendre ce qu’il me disait ? Est-ce que c’était vrai, il n’avait plus besoin de ce scénario ? Et là Lacan m’a répondu : vous n’avez pas écouté la phrase d’après. Alors on est tombé sur le fait que c’était « je dois m’imaginer que je ne suis rien du tout, méprisable, incapable, ne montrant aucun intérêt », c’est-à-dire que le fantasme lui-même était là, le scénario pervers venait cacher le fantasme auquel il n’avait pas accès.

On a là quelque chose d’intéressant : quel est le statut d’un fantasme inconscient ? Eh bien vous le trouvez à la fin du séminaire de Lacan La logique du fantasme (page 302) où il résume en une phrase : un fantasme, c’est une axiomatique, ce n’est pas quelque chose qui bouge vous partez d’un axiome. Comment s’est constitué l’axiome ? Il s’est constitué d’après Freud par le complexe d’Œdipe, etc. Ça se résume à quelque chose de l’ordre d’une certitude.

Donc l’analyse serait la levée d’une certitude, qui vous dégagerait de cette certitude. Le modèle chez Freud, c’est « Un enfant est battu », et un autre texte « Le roman familial ». Dans « Un enfant est battu », Freud vous montre comment avec l’œdipe on jongle entre le père, la mère, l’enfant, le frère. Lacan est parti de là pour inventer tout le reste. Ces deux textes sont indispensables à connaître.

J’ai trouvé le texte que je cherchais dans La logique du fantasme : 

« Et quand vous devez dire qu’au temps médian, le temps deux d’''Un enfant est battu'', – celui où c’est le sujet qui y est, à la place de l’enfant, – celui-là, vous ne l’obtenez que dans des cas exceptionnels. C’est qu’à la vérité la fonction du fantasme. »

Et voici le texte concernant l’axiome :

« Eh bien, signification de vérité, ai-je dit : ça veut dire la même chose que quand vous affectez un grand ''V'' – pure convention, dans la théorie donnée par exemple de tel ensemble, – quand vous affectez la connotation de vérité, quelque chose que vous appellerez un axiome. Dans votre interprétation, le fantasme n’a aucun autre rôle, vous avez à le prendre aussi littéralement que possible et ce que vous avez à faire, c’est à trouver dans chaque structure, à définir les lois de transformation qui assureront à ce fantasme, dans la déduction des énoncés du discours inconscient, la place d’un axiome ».

Donc la fin d’une analyse, c’est ça et vous savez pourquoi ? Parce que les symptômes se constituent à partir du fantasme.

JLDC

Tu as repris tout le chemin de l’inconscient et de la psychanalyse. Tu es parti du changement radical dans le rapport au langage, je crois que c’est quelque chose qui est très important puisque dans ce discours courant dont tu parles, je trouve que c’est très intéressant ta formule de dégommer du discours commun. Qu’est-ce que vous dites quand vous me dites ça ? C’est quelque chose qui est plus long à mettre en place parce que, effectivement, des demandes d’analyse, il y en a très peu, mais il y a beaucoup de demandes de parole. Il y a quelque chose d’une intuition qui fait que les gens se disent : il se passe quelque chose quand même quand je parle, même si ce que je dis me paraît d’une banalité excessive. Et c’est là que va pouvoir se mettre en place la dimension du transfert, c’est dans la façon dont on accueille cette parole.

Ce que tu as repris sur la règle fondamentale me paraît très important : il y a l’association d’idées plus le désir de l’analyste, il n’y a pas l’un sans l’autre et cette règle fondamentale ne peut s’exercer effectivement que s’il y a une dimension transférentielle, de transfert au sens analytique.

Tu dis : « il n’y a pas de psychanalyse sans levée de l’amnésie infantile », alors il y a cette phrase de Lacan que je trouve toujours très belle, il dit que « l’amnésie du refoulement c’est la forme la plus vive de la mémoire ». Effectivement, c’est dans cette amnésie-là que réside tout le potentiel de constitution d’un récit.

Et puis tu en viens à la question de l’objet. Catherine Clément dit : « la vraie trouvaille de Lacan, c’est l’objet petit a. Évidemment ça n’était pas chez Freud, mais chez Freud il y a « das Ding », la chose, et das Ding et l’objet petit a, c’est à mettre en dialectique.

JRF

Il y a des textes de Jean-Marie Jadin sur ce sujet (dans Poinçon, qu’on peut trouver à Strasbourg). Moi je dirais qu’il y a quelque chose qui n’est pas juste : il y a l’histoire de l’objet petit a et il y a la place du grand Autre. Il n’y a pas d’objet petit a sans grand Autre, le grand Autre c’est un lieu constituant… d’avoir créé un endroit où on va se constituer comme sujet. Parce que ce qui est un grand paradoxe pour nous maintenant : chez Freud il n’y a pas de sujet. Il n’utilise pas le mot « sujet », il parle du Moi. Et celui qui a introduit le sujet, du fait de sa formation philosophique, c’est Lacan. C’est cette idée que le sujet se constitue dans l’autre.

JLDC

En même temps, il fait un pas décisif par rapport au sujet de la philosophie.

JRF

Jean-Marie Jadin a écrit un livre sur Philosophie et Psychanalyse

JLDC

C’est justement dans le fait que l’autre est décomplété qu’il y a quelque chose de cet objet petit a qui tombe.

JRF

Oui, d’ailleurs Lacan dit « qu’est-ce qu’on fait dans la liberté d’association ? » On essaie de passer chaque fois d’un signifiant à l’autre, on glisse, ce sont les histoires de métaphores, de métonymies… Il dit « mais pour passer d’un signifiant à l’autre, il faut chaque fois qu’il y ait une perte de l’objet petit a ». Quand je te dis « gobelet », pour que je puisse te dire « gobelet », il faut que quelque part j’aie fait le deuil de l’objet… si je peux dire « gobelet » c’est qu’il n’y a plus de gobelet. C’est la démarche même de la parole, le mot se crée par le meurtre de la chose, et c’est là qu’on retrouve la philosophie. C’est vrai que c’est pour cela qu’il a bien fait de faire des études de philosophie.

JLDC

D’ailleurs il dit que « le symbole c’est le meurtre de la chose », et il ajoute, « et ce meurtre c’est l’éternisation du désir », c’est par ce meurtre que s’éternise le désir inconscient. Le problème c’est que si le langage n’est que le langage, disons scientifique, qui n’est fait que de signes, à la différence du signifiant, le signe c’est ce qui représente quelque chose pour quelqu’un, donc ça ne représente qu’une chose un signe, alors que le signifiant représente le sujet, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait une perte pour accéder à notre signifiant. Et ce discours courant, ce discours qu’il faut dégommer un peu, c’est aussi ce discours du signe, c’est-à-dire que tout a un sens, il n’y a pas d’ambiguïté dans la parole, pas d’équivocité, etc. Et c’est vrai qu’on voit vite, parfois dès la première séance, si ça va être possible, ou facile ou pas de dégommer ce discours par un petit trait d’humour, si ça va être accepté ou un peu sidérant quelquefois, ou alors tout à fait balayé. Et on voit ça un peu dans la façon de faire le récit de leur vie, quand il y a des précisions sans arrêt, avec plein de détails, c’est-à-dire il ne faut surtout pas que ça puisse évoquer autre chose. Ce sont des choses qu’on rencontre dans ces entretiens préliminaires et où on peut voir s’il pourra ou pas se passer quelque chose. Je le dis avec mes mots, ce n’est pas trop théorisé.

JRF

Si c’est théorisé, je vais te dire pourquoi. J’avais l’intention de parler de quelque chose, qui manque dans ce que j’ai dit, c’est la question de l’automatisme de répétition, qui est toute la question de la pulsion de mort. Et maintenant je suis en train de travailler sur Kafka (je pensais au texte sur le trapéziste). Il nous montre le drame d’une jeune anorexique qui, si on ne peut plus la laisser exhiber son anorexie, elle meurt. Et le trapéziste qui est en train de grimper sur le trapèze toute la journée pour pouvoir survivre. C’est un autre pan, c’est d’ailleurs le pan de l’au-delà du principe de plaisir. Ça renvoie effectivement au réel après

Questions :

Quand vous dites que Lacan amène le sujet, c’est le sujet de l’inconscient ?

JRF

Exactement, ce n’est pas le sujet philosophique, c’est le sujet de l’inconscient.

Mais il faut se rendre compte comment il s’est fait rejeter avec ça, parce que par rapport aux lecteurs habituels de Freud, ça a été une catastrophe.

JLDC

Surtout qu’il dit que c’est un sujet divisé, ce n’est pas le sujet de la connaissance et je crois que c’est cela qui a été le plus critiqué, c’est qu’il soit divisé.

JRF

C’est-à-dire qu’il y a un pôle qui est phobique et un pôle qui est fétichiste, le sujet est composé des deux parties, déjà chez l’enfant. Et le dernier texte de Freud sur la Ichspaltung, le clivage du Je, précise bien que le sujet est clivé.

Question :

inaudible

JRF

C’est ce que Lacan appelle « la traversée du fantasme », ça veut dire en termes simples le fait de reconnaître le fantasme inconscient. Et puis surtout, on ne l’a pas abordé, c’est accepter qu’il n’y ait plus de jouissance, parce qu’il y a une jouissance dans le fantasme, il faut pouvoir supporter cela.

JLDC

Surtout on revient à l’actualité de la psychanalyse, il faut réinventer quelque chose par rapport à cela aussi, parce qu’on est quand même une société de la jouissance

JRF

Là on est complètement anachronique.

On peut rajouter que vous avez de la chance quand les générations qui suivent ne suivent pas, il faut savoir qu’il y a carrément quelque chose à réinventer.

Question :

Vous n’avez jamais utilisé le mot de « castration »

JRF

Mais la castration c’est la même chose que la reconnaissance du fantasme, c’est une des formulations. Je n’ai pas utilisé volontairement « castration » parce qu’il y a la castration réelle, la castration symbolique et la castration imaginaire. Si on rentre trop dans certains concepts, on est obligé de développer.



[1] Jean-Richard Freymann (1981), « À propos d’un scénario pervers », dans L’art de la clinique, Toulouse, Arcanes-érès, 2013, pp.139-149.

Intervenants

Interventions

 ACF-VD
Jean-Claude Affre
Dr Marie  Allione
Claude Allione
Bernard Baas
Dr Arielle Bourrely
Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
Lionel Buonomo
Pr Jean-Daniel Causse
Philosophe Jean-Louis Cianni
Jomy Cuadrado
Dr Marie-José Del Volgo
Guilhem  Dezeuze
Dr Jean-louis Doucet
Laurent Dumoulin
Dr Jean-Richard Freymann
Eva-Marie  Golder
Professeur Roland Gori
Jean-Paul Guillemoles
Bernard Guiter
Rhadija  Lamrani Tissot
Dr Patrick  Landman
Dr Michel Leca
Gérard Mallassagne
Dr Augustin  Ménard
Professeur Michel  Miaille
Dr François  Morel
Daniel Nigoul
René  Odde
Aloïse Philippe
Professeur Gérard  Pommier
Professeur Jean-Louis Pujol
Dr Jean Reboul
Dr Marie-Laure Roman
Franck Saintrapt
Professeur Bernard Salignon
Rajaa Stitou
Dr Bernard Vandermersch
Dr Marcel Ventura