Paroles singulières en Méditerranée

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PAROLES SINGULIÈRES EN MEDITERRANEE

18 03 2023 Augustin Ménard "Folie ou psychose ?"

Sète le 18/3/23

 

FOLIE OU PSYCHOSE ?

 

 

I DE LA TRAGÉDIE À LA FOLIE

 

         La tragédie :

         Pourquoi la proposition de J.L. Doucet de nous intéresser à la perte, à notre époque, du sens de la tragédie m’a conduit à m’interroger sur le binaire : « folie ou psychose ? »

         La tragédie grecque a le mérite de dévoiler cette faille chez l’être humain qui se croit maître de lui alors qu’une puissance inconnue dirige inexorablement son destin. La question de ce hiatus, de ce trou est posée. Les réponses au cours des temps seront multiples mais la tendance la plus forte est d’en nier l’existence. C’est particulièrement le cas à notre époque.

         Nietzsche dans sa « naissance de la tragédie » faisait passer la coupure entre l’apollinien et le dionysiaque anticipant sur l’opposition Éros et Thanatos de Freud.

         Pour les anciens le destin (fatum) impose l’idée d’un Autre tout puissant (A non barré), dont l’autorité s’impose nécessairement (Anankè).

         Les Grecs prenaient soin de clore le cycle de leurs tragédies par une comédie, dénonçant les semblants qui nous aveuglent, l’Autre est ainsi décomplété et le hiatus reconnu.

         Quant à la causalité, Protagoras déplace les lignes. Avec : « L’homme mesure de toutes choses », elle va des Dieux à l’homme lui-même. Jacqueline de Romilly va plus loin dans « Patience mon cœur » elle relève la naissance du sujet, concept inconnu des Grecs.

         Ulysse de retour à Ithaque découvrant les prétendants réunis à la cour, prêts à briguer sa place, s’écrie : « Patience mon cœur ! ». On passe du moi au je, avec la coupure qui les sépare.

        

         La folie :

         Hippocrate raconte que les habitants d’Abdère l’appelèrent pour traiter la folie de Démocrite, venu terminer ses jours dans leur cité.

         « Il demeure éveillé – disent-ils, de nuit comme de jour, riant de toutes choses grandes ou petites, pensant que la vie entière n’est rien… Il écoute les voix des oiseaux et maintes fois, se levant la nuit il a l’air de chanter doucement, les yeux levés des heures entières vers les étoiles… et tout d’un coup : un rire éclatant dans le calme nocturne ».

         Hippocrate, médecin, vient avec ses drogues mais il écoute le discours de Démocrite. À la fin de leur entretien, celui-ci énonce : « ce qui me fait rire, c’est l’homme ».

         Hippocrate saisit que le rire de Démocrite témoigne d’une grande ironie dans un dernier regard sur l’humanité et non pas d’une maladie. Il répond aux habitants d’Abdère : « Démocrite n’est pas fou, il a saisi la vérité humaine ». Il donne ainsi une leçon aux grecs : « la faille que vous dénoncez chez Démocrite est celle que vous refusez de reconnaître en vous, c’est celle de l’être humain ».

         Anticipons : le concept réducteur et ségrégatif de psychose, forgé par la science au XIXe siècle, même si elle a un fondement et une pertinence certaine, mais limités, est au service du refus de la folie inhérente à l’homme. La psychose est pour certains alors que la folie est pour tous.

         Notons que Lacan à ses débuts (Propos sur la causalité psychique) comme à la fin de son enseignement avec Joyce, séminaire XXIII, valorise le terme de folie.

         Entre-temps, il nous a fourni grâce à sa théorie du signifiant, le concept de « forclusion » qui nous permet de cerner les limites de la psychose. Nous avons là un critère robuste pour le diagnostic, mais qui a son revers. À considérer que le symbolique (le signifiant) a priorité sur l’imaginaire et le réel on retombe dans un déterminisme strict qui occulte les limites de la folie.

Un survol de l’histoire de la folie

         L’histoire de la folie nous démontre la tendance constante à occulter la faille que le langage opère sur l’animal parlant qu’est l’homme.

         Si Érasme fait l’éloge de la folie, le grand renfermement du XVIIIe siècle l’occulte vite. La Révolution française se contente de faire passer Sade de la prison à Charenton.

         La science triomphante du XIXe siècle crée le mot de psychose et virant au scientisme la réduit à une cause purement organique : la dégénérescence (Magnan-Lombroso). Fort heureusement les hystériques manifestent une autre causalité psychique, celle que sait entendre Freud malgré sa formation scientiste.

         Au XXe siècle avec Henri Ey, le hiatus est comblé d’une autre manière : en unifiant organique et psychique dans l’organodynamisme. Lacan en démontre la vanité, il se réfère à Pascal : « L’homme est si nécessairement fou qu’il faudrait être bien fou, par un autre tour de folie pour se croire non-fou ».

         Et dans « Propos sur la causalité psychique », il formule : « loin que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est (la folie) la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence »[1] et encore : « l’être de l’homme ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la limite de sa liberté »[2].

         La folie résulte de la forclusion généralisée du réel, la psychose d’une forclusion restreinte portant sur un signifiant particulier, élaboré au cours des temps pour suppléer à la forclusion généralisée. C’est le signifiant du Nom du Père. Le signifiant est prélevé dans le symbolique et le redouble. S’il pacifie la jouissance liée à la rencontre du réel, c’est que loin de nier le trou de structure, il le maintient en le métaphorisant.

         Notre époque est à bien des égards, proche de celle de Freud, plus radicale encore. Certains neuroscientifiques virant au scientisme voudraient réduire l’homme à ses neurones. (Cf. L’homme neuronal de Changeux).

         Le discours capitaliste y concourt car si la science obture la faille par le savoir, le capitalisme la comble par l’objet argent, annulant non moins le sujet.

         La multiplication des psychoses ordinaires, symptôme du malaise actuel dans la civilisation joue pour nous le rôle qu’a joué l’hystérie pour Freud.

 

II L’APPORT DE LA PSYCHANALYSE

         « Au commencement était le trou ». La psychanalyse met la coupure au cœur du sujet. Elle relève ce que la science rejette : le hiatus entre la cause et l’effet.

         À l’opposé d’un déterminisme que pouvait induire la théorie du signifiant : « tu crois agir quand je t’agite au gré des fils dont je noue tes désirs », elle oppose à la nécessité (Anankè) la contingence de la rencontre du réel. Cela ouvre sur la créativité, la liberté, mais aussi la responsabilité.

         La boussole n’est plus désormais la recherche de la vérité dans le sens des symptômes mais l’éprouvé dans le corps du choc avec le réel, soit l’affect que nous nommons jouissance.

         Le support de la clinique borroméenne

         Lacan a déjà réussi à tenir compte du trou de structure en passant de la logique aristotélicienne du tout à celle du pas-tout.

         Grâce à la topologie du cross-cap il a pu logifier les rapports du sujet à l’objet dans le fantasme. Le poinçon les sépare et les réunit.

         Mais, c’est le nœud borroméen qui fait la monstration de la possibilité de faire coexister l’aliénation qu’introduit le nouage et la séparation qui se maintient dans le rapport deux à deux des éléments du nœud. C’est le support d’une clinique continuiste car « nouage et dénouage ne sont pas de métaphore » ce qui ouvre à de multiples cas de figure mais compatible avec la discontinuité qu’imposent certaines ruptures.

         Venons-en à l’essentiel : le parlêtre ne peut se soutenir dans l’existence que si un quatrième élément vient lui permettre de nouer les trois auxquels il est confronté, à savoir le réel, l’imaginaire et le symbolique.

         Freud a découvert la solution la plus souvent retenue à savoir le nouage par le Nom du Père, signifiant prélevé dans le symbolique qu’il redouble. L’apport de Lacan part de la constatation suivante : si nous prenons trois cercles et les nouons par un quatrième, ce dernier peut aussi bien dédoubler l’imaginaire ou le réel que le symbolique. Une fois le nouage fait, il est impossible de dire de quel registre était celui qui a produit le nouage. En revanche quand l’un cède et que l’ensemble se défait, on a la certitude que c’était bien le symptôme qui faisait suppléance.

         Ainsi, un symptôme imaginaire ou réel pourra aussi bien introduire le nouage borroméen. On passe alors du Nom du Père aux noms du père.

         S’il n’y a que des suppléances, la seule question valable est de différencier celles qui introduisent ou non la propriété borroméenne.

         Si elle ne l’introduit pas nous sommes dans le registre de la psychose extraordinaire ou ordinaire. La discontinuité de la forclusion s’exerce : elle est irréversible, mais la continuité demeure dans la souplesse possible des nouages et dénouages. L’exemple majeur est celui de l’Homme aux loups qui a exploré diverses structures : phobique, perverse, hystérique, obsessionnelle pour s’avérer tenu par un nouage paranoïaque.

         Le plus intéressant, et ce que j’avance avec prudence, car nul ne s’y est attaché à l’exception de Pierre Skriabine, ce sont les nouages borroméens non symboliques : nouage par l’imaginaire, ou nouage par le réel. Cela ne peut se repérer que quand la suppléance s’effondre.

         Tel sujet déclenche un épisode maniaque lorsque le personnage dont l’image idéale l’avait soutenu disparaît. Jusque-là, rien dans son discours, ne permettait d’évoquer une psychose même ordinaire avec ses signes discrets.

         Si par chance il rencontre un nouveau support imaginaire à son nouage borroméen, clac ! d’un seul coup cela se renoue. Se marque ici la différence avec le re nouage par identification symbolique dans le deuil où le nouage se fait progressivement, signifiant après signifiant.

         Pour ne pas alourdir l’exposé, je renvoie aux cas cliniques publiés notamment dans mes livres. À mon sens c’est ce type de nouage qui rend compte de la folie inhérente à l’essence de l’homme : « elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence » comme je l’ai déjà cité. Si la psychose est pour certains, et la folie pour tous, on peut évoquer en parallèle la psychose ordinaire, la folie ordinaire.

 

§

         Le nouage borroméen permet d’aller au-delà du débat ancien entre causalité organique ou psychique. Il s’oppose aussi au continuum organo psychique d’Henri Ey. Il introduit avec le réel le Pas-tout organique et le Pas-tout psychique soit le hiatus entre la cause et l’effet.

         L’ancrage du psychisme dans l’organisme nous est fourni par l’imaginaire du corps en tant que substance. C’est le support du psychisme au sens du « mens » latin qui a donné « mentalité ».

         L’apport extérieur au corps du symbolique correspond à cet autre part du psychisme qu’est le « noüs » grec qui a donné noème. C’est le discours de l’Autre.

         Le troisième élément, le réel, présentifie le hiatus que je viens d’évoquer entre la cause et l’effet que nient les scientistes, où se loge l’inconscient réel. Il faut pour les faire tenir ensemble borroméennement le quatrième et constituer ainsi le support du parlêtre.

         Le trou que l’on pouvait localiser au centre des trois cercles dans le nouage à trois, ne peut plus l’être à partir du quatrième. Il est partout et nulle part.

         Nous pouvons dire avec Héraclite : « Les liens que l’on ne voit pas, sont les plus solides ».



[1] LACAN J., Écrits p. 176

[2] LACAN J., Ibid. p. 176

Intervenants

Interventions

 ACF-VD
Jean-Claude Affre
Dr Marie  Allione
Claude Allione
Bernard Baas
Dr Arielle Bourrely
Professeur Claude-Guy Bruère-Dawson
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Pr Jean-Daniel Causse
Philosophe Jean-Louis Cianni
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Dr Marie-José Del Volgo
Guilhem  Dezeuze
Dr Jean-louis Doucet
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Dr Jean-Richard Freymann
Eva-Marie  Golder
Professeur Roland Gori
Jean-Paul Guillemoles
Bernard Guiter
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